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peine que vous vous êtes donnée pour moi, mais myn diawl ! je n’avais aucune idée, avant de l’avoir lu en anglais, qu’Elis Wyn eût été un si terrible compère. » Ce n’est donc qu’une traduction, mais elle est signée du nom de George Borrow, et ce nom nous a suffi pour nous engager à lire l’œuvre qui avait piqué sa curiosité. Nous connaissons le caractère de cette curiosité, et il n’est pas probable qu’un livre sur lequel elle s’est portée n’ait pas pour nous un intérêt quelconque. Et en effet il se trouve que cet écrit est le dernier monument en prose de la littérature galloise, et qu’il nous fait pour ainsi dire assister à l’enterrement d’une vieille nationalité.

Le livre se nomme le Barde endormi (the sleeping Bard). Ce titre est, paraît-il, une sorte de plagiat fait à un des vieux poètes gallois, plagiat avoué par Elis Wyn, et qu’il se fait reprocher à lui-même avec une acrimonie facétieuse dans une de ses visions par le poète qu’il a dépouillé ; mais, dérobé ou non, le titre est en rapport exact avec le sujet choisi par l’auteur, puisque son livre se compose de visions qui lui sont venues pendant le sommeil. Ces visions sont au nombre de trois : la première fait passer sous nos yeux le spectacle de la vie du monde, la seconde nous ouvre les régions souterraines de la mort, et la troisième nous fait promener à travers les demeures des damnés. Quant à l’auteur de ces visions, on ne sait à peu près rien de sa personne, sinon qu’il était natif du Denbighshire, qu’il se nommait Elis Wyn, et qu’il passa, en qualité de ministre anglican, la plus grande partie de sa vie dans une paroisse de son pays natal appelée Y-Las-Ynis. Outre le Barde endormi, il a laissé un livre de conseils aux professeurs chrétiens, écrit également en langue galloise.

Quel était le caractère de l’auteur ? quel était son degré de culture ? quelles étaient ses mœurs et ses préoccupations favorites ? De tout cela, nous ne savons rien avec une certitude historique ; mais il est très facile, d’après la lecture du Barde endormi, de se représenter et sa personne et ses opinions. L’auteur fut très évidemment un ecclésiastique zélé, ardent, et même un peu fanatique ; d’un esprit étroit et borné, mais non sans force et sans finesse ; d’une âme dure, sèche, sans onction et sans vraie charité, mais visiblement morale et honnête. Il dut prendre ses fonctions avec un sérieux terrible, et se montrer peu endurant à l’endroit des privilèges de son ordre et du respect dû à son titre de prêtre, car son livre trahit des préoccupations singulièrement ecclésiastiques. Ainsi il est sans pitié pour, les ménétriers qui président le dimanche aux plaisirs populaires. Manquer au service divin est pour lui une aussi grande faute que le parricide et le parjure, une faute qu’il ressent comme une injure qui lui a été faite personnellement. Ses opinions sont celles du