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exemple, avec cette franchise cynique qui donne tant de verdeur et d’accent à son honnête langage, que les meilleures chansons écossaises qu’il connaisse roulent presque infailliblement sur un de ces deux sujets peu relevés et peu moraux, un vol de bestiaux à main armée ou une fille qui se laisse imprudemment glisser sur le gazon. Cet amour des littératures primitives l’entraîne vers toute sorte de recherches piquantes et intéressantes ; sa curiosité littéraire bat tous les buissons et tous les halliers de l’histoire et de la légende. Quant à son talent littéraire, à proprement parler, il est de substance très vigoureuse et très anglaise. Son humour a la saveur substantielle des solides roastbeefs anglais et la force âpre et lourde du porter aux flots épais. Il ignore les mièvreries sentimentales, les subtilités métaphysiques, le libéralisme religieux et l’idéalisme politique. La philosophie allemande, les poèmes de Wordsworth, le papisme et la religion éclairée et épurée de ses contemporains lui font également horreur. C’est un esprit de vieille roche comme il ne s’en voit plus guère dans nos jours de lumières et de dilettantisme, pratique et poétique à la fois, conservateur et populaire, hargneux et cordial, plein de respect pour l’église et l’état et d’affection pour les petits, qui lui permettent mieux que les grands de vivre à sa guise. Et voilà en miniature la physionomie très originale et très intéressante de celui des modernes écrivains de la Grande-Bretagne qui est peut-être le plus foncièrement anglais.

Tout livre signé du nom de George Borrow est donc pour l’amateur de bonne littérature une véritable fête de l’esprit. Malheureusement ces fêtes sont rares. Le petit volume qui est l’objet de ces pages n’est pas un écrit original ; c’est une traduction que l’auteur avait en portefeuille depuis plusieurs années et qu’il ne s’est décidé à publier qu’à la fin de 1860. Le livre traduit est un livre mystique, une vision écrite en langage cambrien au commencement du XVIIIe siècle par un ministre gallois nommé Elis Wyn, qui jouit d’une grande réputation parmi les populations du pays de Galles. L’histoire de cette traduction est même assez amusante. « J’avais entrepris ce travail, dit George Borrow dans une préface courte et concise, à la requête d’un petit libraire gallois de ma connaissance, qui pensait qu’une traduction de l’œuvre d’Elis Wyn obtiendrait un grand débit en Angleterre et dans le pays de Galles ; mais la veille du jour où il devait confier le manuscrit à l’impression, le Breton cambrien sentit son petit cœur l’abandonner. « Si je l’imprimais, me dit-il, je serais ruiné ; ces terribles descriptions du vice et de la damnation feraient perdre l’esprit à la partie la plus fashionable du public anglais, et je serais certainement poursuivi en justice par sir James Scarlett. Je vous suis très reconnaissant de la