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sentimens que je voulais leur expliquer. Je crois qu’il ne faut pas redouter d’être précieux ou emphatique une fois par hasard, et lorsque la préciosité et l’emphase sont nécessaires et inévitables. L’emphase et la préciosité ne sont des défauts que lorsqu’ils sont le ton habituel de l’âme, son mode favori d’expression, sa seconde nature ; mais si, pour entrer dans la connaissance vraie et intime de certains sentimens, je suis obligé de raffiner ma pensée et pour ainsi dire de vaporiser mon langage, je ne dois pas hésiter, puisque la connaissance de la vérité est à ce prix, et que je ne puis espérer de la faire comprendre que par ce moyen. Que ce soit là mon excuse auprès du lecteur, et qu’il fasse retomber sur moi seul et non sur l’auteur de Vesper ce reproche, s’il était tenté de me l’adresser. Notez en effet que les sentimens exprimés par l’auteur, pour être délicats et fins, ne sont rien moins que subtils et quintessenciés. Ils sont pleins de sève, de substance et de flamme au contraire ; seulement ils sont de telle nature que, pour les faire comprendre de ceux qui ne les connaîtraient pas, j’ai été obligé d’en composer un extrait qui en donnât le parfum en quelques lignes, comme une goutte d’essence donne le résumé du parfum d’une plante.

Ne cherchez pas dans ce petit livre d’autre unité que celle que j’ai essayé de vous faire saisir. Ces rêveries et ces anecdotes sont toutes des rêveries et des anecdotes du soir ; elles sont toutes sorties de la même préoccupation d’âme, du même recueillement animé, du même bourdonnement de souvenirs ; voilà le lien subtil qui seul les réunit. C’est un recueil de causeries, brisées et abondantes à la fois, pleines de vivacités de langage, d’accens variés, de mots heureux spontanément inventés, d’éclats de gaieté inattendue et originale, d’affaissemens mélancoliques, de brusqueries éloquentes, et même de temps de silence encore plus éloquens. Et tous ces tons variés, les uns très hauts comme ceux d’une voix qui appelle, les autres profonds comme une plainte, ceux-ci bas et légers comme un chuchotement, ceux-là opiniâtres et aigus comme un cri d’insecte caché dans l’herbe, ces derniers enfin gais comme une fanfare, éclatent à la fois sans discordance. Pas de transition laborieuse qui vous avertisse que vous passez d’un ton à un autre, nul souci des prétendues règles de l’art : une ligne, un point, et les inflexions de la voix sont changées ; mais en revanche, quel respect naïf et vrai pour la sincérité de sa pensée ! Comme la parole de l’écrivain suit et interprète docilement tous les mouvemens de son âme turbulente, toutes les boutades fantasques et toutes les mutineries de son zèle religieux ! Ces notes si diverses éclatent à la fois, dis-je, et cependant sans discordance, dans un désordre qui n’a rien d’offensant pour l’oreille, car la vie lui imprime l’harmonie. Par là son livre offre encore une ressemblance avec cette musique du soir où les