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Essayons de faire comprendre au lecteur la gamme particulière de cette musique.

Ce sont encore des horizons que Mme de Gasparin (puisque nous avons eu une première fois l’indiscrétion de nommer l’auteur, il n’en coûte rien de la renouveler) déroule sous nos yeux, mais non plus ces horizons prochains de la terre vers lesquels elle s’était tant de fois élancée dans la pleine ardeur de la vie et dans le zèle actif de la charité pratique, ni ces horizons célestes qu’elle ouvrait aux âmes chrétiennes, comme un champ nouveau et plus vaste promis à leur besoin d’amour et à leur vaillance morale. Ses nouveaux horizons sont ces horizons si doux et si tristes que déroulent les heures du soir, ces horizons où le ciel et la terre se confondent, où la lumière, près de retourner à sa source divine, enveloppe la terre d’une dernière étreinte, rayonnante et prolongée, et où la terre, comme attendrie par ce baiser d’adieu, laisse échapper avec plus d’abondance ses parfums, ses soupirs et ses larmes. Pour peu que vous ayez l’âme poétique et religieuse, vous les avez certainement senties et comprises, ces heures touchantes du crépuscule, symbole visible des existences qui ont été purement et noblement dépensées.

Ne trouvez-vous pas en effet qu’il y a quelque analogie entre le soir d’un beau jour et le soir d’une âme noble ? Une lumière radieuse sans être éblouissante, à la fois douce et intense, pénètre et colore de ses flots dorés cette atmosphère que traversaient, sans en altérer la limpidité, les flèches du plus ardent midi, et qui maintenant, devenue poreuse en quelque sorte, rend jusqu’au dernier atome des rayons qu’elle a reçus tout le jour et s’imbibe de ceux qui lui viennent encore. La chaleur du jour se fond en une douce tiédeur qui amollit les plantes et fait fumer vers le ciel les parfums qu’elles dégagent : la rosée tombe lentement sur la terre, pareille à des larmes longtemps contenues ; la sonorité de l’air est doublée ; le moindre atome conquiert le privilège de faire entendre sa voix, tout à l’heure perdue dans le tumulte de la journée. Avez-vous entendu les mugissemens des bestiaux qui reviennent de l’abreuvoir ? Ils se prolongent avec une ampleur qu’ils n’avaient pas avant le déclin de la lumière. Ce tableau est aussi celui de l’âme sous les influences de la jeunesse déclinante. Alors elle entre dans un état de recueillement animé, plein de bourdonnemens et de bruits, qui est aussi loin de l’activité de midi que de la paix de la nuit. Il se trouve qu’aucune des expériences de la vie n’a été perdue ; l’âme rend aussi la lumière qu’elle a reçue et se montre comme enveloppée dans un halo de souvenirs. Les images que l’on croyait effacées reparaissent transfigurées, la mémoire laisse échapper ses secrets oubliés, les paysages autrefois parcourus déploient leurs anciennes magnificences,