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à la terre, et qui a laissé comme témoins de son retrait des bancs de sable, où sont restés en place des débris de coraux et de coquilles. Ces débris se rencontrent en grand nombre dans l’espace vide au centre des fortifications et dans la plaine où est bâtie Aden. La ville est percée de rues larges, bien ouvertes, dont l’une forme l’artère principale de la cité. Une foule nombreuse s’y presse à toute heure du jour, et les femmes marchent voilées, comme dans tous les pays arabes. Au mouvement extérieur, on juge de l’importance de la ville, et le nombre des habitans dépasse aujourd’hui vingt-cinq mille âmes. Les mosquées se distinguent à leurs dômes arrondis, et à côté les minarets élèvent vers le ciel leurs flèches aiguës. Les maisons blanches à un étage développent leurs élégans moucharabiehs, fenêtres et balcons découpés à jour, et dans les magasins ouverts les marchands accroupis, fumant leur narguileh à bout d’ambre, attendent patiemment les chalands. La tête couverte d’un énorme turban et vêtus d’un cafetan bleu, ils demeurent silencieux des heures entières. Leur sérieux et leur gravité contrastent singulièrement avec les espiègleries des jeunes enfans. Ceux-ci poursuivent par bandes le voyageur dans la rue en lui demandant le bakhchich, légère aumône que dans tous les pays musulmans on prélève sur les étrangers. Il n’est sorte d’importunités dont on ne les accable pour arriver au bakhchich désiré. Les enfans pleurent à chaudes larmes, simulant une longue faim ; d’autres proposent une lutte entre eux pour que le bakhchich soit la récompense du vainqueur.

Accompagné d’une vingtaine de ces gamins, j’arrivai sur la grande place du marché, où des chameaux étendus par terre se reposaient de leurs fatigues à côté des chameliers endormis. Des moutons étaient parqués en un point séparé de la place, et tout le long du marché des sacs de dattes, de pistaches et d’oranges étaient exposés en vente, sans que les possesseurs daignassent faire la moindre avance aux passans. Je touchai à tout, et pas un marchand ne se dérangea pour m’encourager à lui faire des achats. J’admirai cette étonnante uniformité du caractère arabe, qu’on retrouve partout le même, des rivages du Maroc à ceux de l’Arabie. Les villes offrent aussi partout un cachet d’identité qui étonne, et Aden me rappelait à s’y méprendre certains quartiers du Caire, d’Alexandrie et de Suez. Partout des bazars pour les trafiquais et des caravansérails pour les voyageurs ; des cafés où les conteurs, les musiciens et les poètes viennent charmer les fumeurs de haschich, que les aimées provoquent par leurs danses ; partout des mosquées et des minarets où le muezzin appelle les croyans à la prière ; aux maisons, des balcons et des fenêtres grillées, des cours étroites à l’intérieur, et tout