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sur le siège de derrière comme un valet de bonne maison ; puis, voyant que le triste attelage chargé de nous traîner tous se montrait sourd aux cris et aux coups de fouet du cocher, il se mit à marcher à côté des chevaux en les piquant de l’aiguillon. Je m’inquiétai peu de ce contre-temps, et je fus bientôt tout entier au paysage qui se déroulait autour de moi, La route est magnifiquement tracée au bord de la mer. À droite s’élèvent en amphithéâtre des montagnes escarpées, que le Shumshum, point culminant de cette partie de l’Arabie, domine de toute sa hauteur ; à gauche, la mer vient lécher les talus du chemin, et au-dessus de l’eau se dressent un ou deux îlots fortifiés. De temps à autre, on rencontre une caravane de chameaux, intelligentes bêtes qui marchent avec gravité et lenteur, et semblent avoir conscience des précieuses marchandises dont elles sont le plus souvent chargées. En Arabie comme en Égypte, les chameaux des caravanes m’ont toujours rappelé le mulet du fabuliste portant l’argent de la » gabelle, et qui,

Tout glorieux d’une charge si belle,
N’eût voulu pour beaucoup en être soulagé.

On rencontre aussi sur la route d’Aden quelques autruches en liberté, à moitié plumées, et courant (si courir se peut dire à propos de ces lourds volatiles) au milieu des champs dénudés. Certains moutons d’espèce curieuse, à la queue traînante et chargée de graisse, quelques maigres chèvres dont on emprisonne prudemment les mamelles dans une poche imperméable, complètent le bilan zoologique de cette pauvre contrée, non moins mal partagée pour les productions végétales. Çà et là, une touffe d’herbe rabougrie lève sa tige, bientôt calcinée, et les rares botanistes qui vont herborisant par ces tristes et pierreuses campagnes ne font jamais qu’un bien maigre butin.

Mais si le sol de la péninsule adénique ne se présente que sous le plus misérable aspect, le pays est par lui-même assez curieux pour satisfaire le voyageur. On rencontre tout le long de la route de riches équipages de Parsis ou d’Anglais résidens qui vont faire leurs emplettes à Aden, ou bien les matelots de quelque navire en rade, qui ne se sentent pas de joie en parcourant une si étrange contrée. Montés sur des ânes et des mules d’Arabie que leurs loueurs ont l’habitude d’orner de plumes et de grelots, ils galopent tout le long du chemin, narguant hautement les piétons. Ceux-ci vont par groupes pittoresques. Ce sont tantôt des chameliers marchant lentement à côté de leurs bêtes, tantôt des Bédouins du désert égarés sur ce point civilisé de l’Arabie, ou bien des cipayes de l’Inde à la casquette