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blasphèment. Dans un mauvais air, sur la paille, sentant que son mal augmente, prévoyant que sa famille sera bientôt sans pain, apprenant que sa fille meurt, « son cœur se soutient pourtant ; » il reste prêtre et chef de famille, prescrit à chacun des siens son emploi, encourage, console, pourvoit, ordonne, prêche les prisonniers, supporte leurs railleries grossières, les réforme, établit dans la prison le travail utile et la règle volontaire. Ce n’est pas la dureté ni le tempérament morose qui raffermit ; il n’y a pas d’âme plus paternelle, plus sociable, plus humaine, plus ouverte aux émotions douces et aux tendresses intimes. Ce n’est point l’orgueil ni la haine concentrée qui le raidit. « Je n’ai point de ressentiment à présent ; quoiqu’il m’ait pris ce que je tenais plus cher que toutes les richesses, quoiqu’il ait déchiré mon cœur (car je suis malade, très malade, presque jusqu’à défaillir), pourtant cela ne m’inspirera jamais un désir de vengeance… Si ma soumission peut lui faire plaisir, qu’il sache que si je lui ai fait quelque injure, j’en suis fâché… Comme il a été autrefois mon paroissien, j’espère un jour pouvoir présenter son âme purifiée au tribunal éternel. » Rien ne sert ; le misérable repousse hautainement cette prière si noble, par surcroît fait enlever la seconde fille et jeter le fils en prison sous une fausse accusation de meurtre. À ce moment-là, toutes les affections du père sont blessées, toutes ses consolations perdues, toutes ses espérances ruinées. Son cœur n’est qu’une plaie, il s’écrie ; mais, revenant aussitôt à sa profession et à son devoir, il songe à préparer son fils et à se préparer lui-même pour l’autre vie, et, afin d’être utile à autant de gens qu’il pourra, il veut en même temps exhorter les prisonniers. Il « s’efforce de se lever sur sa paille, mais la force lui manque, et il n’est capable que de s’appuyer contre le mur, soutenu d’un côté par son fils et de l’autre par sa femme. » En cet état, il parle, et son sermon, qui fait contraste avec son état, n’en est que plus émouvant. C’est une dissertation à l’anglaise, toute composée de raisonnemens exacts, ayant pour but d’établir que, d’après la nature du plaisir et de la peine, les malheureux souffrent moins que les heureux de quitter la vie, et jouissent plus que les heureux d’obtenir le ciel. On y voit les sources de cette vertu, née du christianisme et de la bonté naturelle, mais alimentée longuement par la réflexion intérieure. La méditation, qui d’ordinaire ne produit que des phrases, aboutit chez lui à des actions. Véritablement ici la raison a pris le gouvernement du reste, et elle l’a pris sans opprimer le reste : rare et éloquent spectacle, qui, rassemblant et harmonisant en un seul personnage les meilleurs traits des mœurs et de la morale de ce temps et de ce pays, fait admirer et aimer la vie pieuse et réglée, domestique et disciplinée, laborieuse et rustique. La vertu