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elle n’ose mentir quand elle en aurait tant besoin, et la piété la retient au bord du suicide quand le suicide semble sa seule ressource. Une à une les issues se ferment autour d’elle, tellement qu’elle n’espère plus rien, qu’on la croit perdue, et qu’on voit venir la dernière violence. Mais cette innocence native a été trempée dans la foi puritaine. Elle voit des tentations dans ses faiblesses, elle sait que « Lucifer est toujours prêt à pousser en avant son ouvrage et ses ouvriers ; » elle est pénétrée de la grande idée chrétienne qui nivelle toutes les âmes devant la rédemption commune et le jugement final ; elle se dit que « son âme est égale en importance à l’âme d’une princesse, quoique sa qualité soit inférieure à celle du moindre esclave. » Blessée, frappée, abandonnée, trahie, il n’importe ; la conscience et la pensée d’une éternité heureuse ou malheureuse sont deux défenses que nul assaut ne peut emporter. Elle le sait bien, et n’a pas d’autre moyen pour expliquer le vice que de les supposer absentes. « Sûrement, dit-elle en parlant de l’entremetteuse, cette femme est athée.- Ne pensez-vous pas qu’elle l’est ? » La croyance en Dieu, la croyance du cœur, non pas la phrase du catéchisme, mais l’émotion intime, l’habitude de se représenter la justice toujours vivante et partout présente, voilà le sang nouveau que la réforme a fait entrer dans les veines du vieux monde, et qui seul s’est trouvé capable de le rajeunir et de le ranimer.

Elle en est remplie ; aux plus périlleux momens comme aux plus doux, ce grand sentiment lui revient, tant il s’est enlacé à tous les autres, tant il a multiplié ses attaches et enfoncé ses racines dans les derniers replis de son cœur ! Il songe à l’épouser à présent, et veut être sûr qu’elle l’aime ; elle n’ose lui rien dire, elle a peur de lui donner prise sur elle ; elle est toute troublée de sa bonté, et pourtant il faut qu’elle réponde. La religion arrive dans un demi-aveu sublime pour voiler l’amour. « Oh ! monsieur, je ne crains pas, avec le secours de la grâce de Dieu, qu’aucune marque de bonté me fasse jamais oublier ce que je dois à ma vertu ; mais ma nature est trop franche et ouverte pour me faire souhaiter d’être ingrate, et si je devais connaître une chose que je n’aie point encore apprise, avec quel regret descendrais-je dans mon tombeau de penser que je ne saurais haïr l’auteur de ma perte, et qu’au grand dernier jour je dois me lever comme accusatrice de la pauvre malheureuse âme que je souhaiterais pouvoir sauver ! » Il est attendri et vaincu, descend de cette hauteur immense où les mœurs aristocratiques l’ont placé, et désormais, jour par jour, les lettres de l’heureuse enfant racontent les préparatifs de leur mariage. Au milieu de cette gloire et de ce bonheur, elle reste humble, dévouée et tendre ; son cœur est plein, et de toutes parts la reconnaissance y afflue encore. « Cette pauvre,’ pauvre sotte fille sera dans quelques heures aujourd’hui aussi bien sa femme que