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l’Écriture. À force de travail intérieur, il obtient « de son esprit non-seulement la résignation à la volonté de Dieu, mais encore la gratitude sincère. » — « Je lui rendis d’humbles et ferventes actions de grâces pour avoir bien voulu me faire comprendre qu’il pouvait pleinement compenser les inconvéniens de mon état solitaire et le manque de toute société humaine par sa présence, et par les communications de sa grâce à mon âme me soutenant, me réconfortant, m’encourageant à me reposer ici-bas sur sa providence et à espérer sa présence éternelle pour le temps d’après. » Dans cette disposition d’esprit, il n’est rien qu’on ne puisse supporter ni faire ; le cœur et la tête viennent aider les bras, la religion consacre le travail, la piété alimente la patience, et l’homme, appuyé d’un côté sur ses instincts, et de l’autre sur ses croyances, se trouve capable de défricher, peupler, organiser et civiliser des continens.

C’est par hasard que de Foe, comme Cervantes, a rencontré ici un roman de caractères ; d’ordinaire, comme Cervantes, il ne fait que des romans d’aventures ; il connaît mieux la vie que l’âme, et le cours général du monde que les particularités de l’individu. Le branle est donné pourtant, et maintenant les autres suivent. Les mœurs chevaleresques se sont effacées, emportant avec elles le théâtre poétique et pittoresque. Les mœurs monarchiques s’effacent, emportant avec elles le théâtre spirituel et licencieux. Les mœurs bourgeoises s’établissent, amenant avec elles les lectures domestiques et pratiques. Comme la société, la littérature change de cours. Il faut des livres qu’on lise au coin du feu, à la campagne, en famille ; c’est vers ce genre que se tournent l’invention et le génie. La sève de la pensée humaine, abandonnant les anciennes branches qui sèchent, vient affluer dans des rameaux inaperçus qu’elle fait tout d’un coup végéter et verdir. Et les fruits qu’elle y développe témoignent à la fois de la température environnante et de la souche natale. Deux traits leur sont communs et leur sont propres. Tous ces romans sont des romans de caractères ; c’est que les hommes en ce pays, plus réfléchis que les autres, plus enclins au mélancolique plaisir de l’attention concentrée et de l’examen intérieur, rencontrent autour d’eux des médailles humaines plus vigoureusement frappées, moins usées par le frottement du monde, et dont le relief intact est plus visible qu’ailleurs. Tous ces romans sont des œuvres d’observation et partent d’une intention morale ; c’est que les hommes de ce temps, déchus de la haute imagination et installés dans la vie active, veulent tirer des livres une instruction solide, des documens exacts, des émotions efficaces, des admirations utiles et des motifs d’action.

On n’a qu’à regarder alentour, le même penchant commence de tous côtés la même œuvre. Le roman pousse de toutes parts, et sous