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parle le plus pur tudesque, et où se sont le mieux impatronisées les traditions de la cuisine anglaise, grâce à feu son altesse royale le duc de G…, jadis vice-roi de ce pays charmant, lequel se chargea de les inculquer aux marmitons de la couronne[1]. Pour l’une ou l’autre de ces raisons, — peut-être pour toutes deux à la fois, — la mère, la tutrice de Mary Dasert, y avait conduit cette pupille bien-aimée, alors âgée de dix-huit à dix-neuf ans. Elles habitaient tout simplement une maison meublée, la plus élégante de la ville, et pourvue d’un magnifique jardin. Là vint débarquer, pendant leur séjour, un beau jeune Anglais, blond, mince, poétique, — tel qu’on représente Milton à vingt ans, — et qui, arrivant de Londres, se rendait à l’université de Bierberg. Il voulait, avant d’affronter les railleries de ses futurs camarades, se prémunir de quelques phrases bien rédigées et le moins mal prononcées qu’il lui fût possible. C’est pour cela qu’il faisait halte quelques jours dans la capitale du royaume. Sa chambre arrêtée, et quand il eut distribué des coups de chapeau à tous ceux que le hasard amena sur sa route, il descendit pour flâner une demi-heure dans ce beau jardin dont les ombrages tentaient sa tristesse et son ennui solitaires.

Il n’y était pas depuis dix minutes, quand un fort joli spectacle attira ses regards. C’était, perchée comme un oiseau sur une branche de cerisier, la plus adorable petite blonde que jamais il eût eu la chance de rencontrer. Elle croquait des cerises avec un zèle, une assiduité admirables, sans remarquer assez qu’elle laissait voir, de la façon du monde la plus choquante, les fines attaches de son pied, même la naissance de sa jambe et la couleur rose-thé de ses bas de soie. Sa chevelure tombait en ondes épaisses et passablement en désordre sur la blanche mousseline qui recouvrait ses épaules, et que tigraient çà et là quelques gouttes de jus de cerise. Les branches de l’arbre avaient accroché plusieurs mèches de ses beaux cheveux, qu’elle cherchait de temps en temps à dégager par des mouvemens empreints d’une grâce mutine. Quand elle aperçut à son tour l’étranger, elle le dévisagea tranquillement, hardiment, laissant de ses yeux gris partir deux rayons purs et joyeux. Saxon Wornton, — celui que vous appelez maintenant lord Slumberton, — en me racontant cette matinée mémorable, me disait qu’il s’était cru un moment devant quelque toile splendide enlevée à un musée d’Italie. Il pensait à mille autres choses plus impossibles encore.

Wollen sie[2] ? lui dit en allemand la jeune fille après un long examen qu’aucun embarras n’avait paru contrarier. Et elle lui tendait,

  1. Il n’est pas malaisé de reconnaître le Hanovre (Han-over ou Hand-over) sous cette appellation satirique de Foot-under. Le nom du roi Ernest, qu’on trouvera plus bas, ne laisse aucun doute à ce sujet.
  2. « Voulez-vous ? »