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elle se sentait attirée vers lui plus que vers tout autre, et venait affectueusement lui offrir quelques conseils.

Il la reconnut immédiatement, et dans les grands yeux noirs qu’il tenait arrêtés sur elle, une singulière expression de plaisir se peignit bientôt de plus en plus vive. Elle n’avait pas compté là-dessus ; mais aussi le savait-elle fou à ce point ? Une idée bizarre venait de traverser la cervelle du roi Bruce : sa majesté songeait à se marier. Or il y avait justement un ecclésiastique dans la maison. Son évêque et sa femme l’y avaient fait enfermer de bon accord, sous prétexte que ses vues sur « la régénération par le baptême » (vues qu’on a depuis lors appelées puseyites) prouvaient clairement son infirmité cérébrale. Il est vrai d’ajouter que ses façons d’agir et sa conduite venaient à l’appui de cette assertion hasardée et justifiaient presque la lettre de cachet médicale. Il avait toute la mine d’un franc imbécile. Le Bruce réunit à la hâte une petite assemblée de gentilshommes et de dames d’honneur que l’idée d’une noce charma tout à coup et mit hors d’eux-mêmes, — ceci se voit parfois chez les gens raisonnables, — et la jeune fille, plus tremblante que jamais, lui fut donnée pour femme, selon tous les rites de la religion anglicane. On se remit à table pour le festin des noces.

Les magistrats cependant rassemblaient tout leur courage et toutes les troupes disponibles pour marcher contre la forteresse gardée par les fous. Deux journées entières leur suffirent à peine pour les préparatifs de l’entrée en campagne ; mais, dès le second jour, il y avait eu grande bataille au sein de la garnison. Les démons des donjons, une fois déchaînés, déclarèrent la guerre au Bruce. La grande maison fut incendiée pendant le conflit, et beaucoup de ceux qui s’y trouvaient enfermés périrent dans les flammes. Le Bruce, s’étant échappé à temps avec sa femme, erra trois jours durant de colline en colline ; mais il avait reçu de graves blessures, et s’alla réfugier dans une ferme où une hémorragie que l’on ne sut pas arrêter le fit mourir peu à peu. On dut appeler un médecin pour la combattre, et ceci fit découvrir le capitaine, ainsi que la jeune fille ou femme qui, brûlée elle-même, couverte de meurtrissures et pour le coup à peu près folle, le soignait cependant avec un dévouement infatigable. Il parait qu’au moment d’expirer — et, comme on dit, la mort entre les dents, — le Bruce appela près de lui cette malheureuse enfant pour murmurer à son oreille, d’une voix enrouée qui donnait la chair de poule, ce vers de la ballade écossaise :

Welcome to your gory bed.

« Bienvenu dans votre couche ensanglantée. » — Ce qu’il y eut de bizarre et d’imprévu, c’est que la jeune victime de cet hymen monstrueux, au lieu de l’exaspération qu’on pouvait redouter pour