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sont à la charge des habitans. Un agent spécial, sous le titre de protecteur des immigrans, est nommé par le gouvernement pour veiller à leurs intérêts. Malgré les mauvais traitemens et les injustices dont il a parfois à souffrir, l’Indien afflue à Maurice, ne demandant qu’à travailler. Il est là plus heureux moralement que dans son propre pays, où sa position de paria le rend un objet d’horreur pour ses compatriotes d’une autre caste ; il trouve surtout des avantages matériels assez grands non-seulement pour l’attirer, mais souvent même pour le retenir. Cet amour de l’Indien pour le gain et son aptitude presque exclusive au travail de la terre le font mépriser des affranchis, qui ne comprennent pas l’épargne, et qui, fiers de leur liberté, ne veulent plus aller travailler aux champs pour qui que ce soit, si ce n’est pour eux-mêmes, Il n’est pas de mauvais noir qui ne se croie bien supérieur à l’Indien, à ces affreux Malabars, comme il les appelle. Cependant presque tous les Indiens savent lire et écrire, jusque dans les plus infimes castes, tandis que bien peu de noirs sont capables de signer leur nom, même par une croix, et que nul d’entre eux ne parle d’autre langue que le créole, français naïf et adouci dans toutes ses syllabes, mais qui ne plaît que dans la bouche des femmes. L’Indien a bien d’autres qualités qui l’élèvent au-dessus du noir. Fidèle au culte de la patrie, dont le nègre ne se plaît à se rappeler que les danses grossières, le paria célèbre en pays étranger les grandes fêtes religieuses de l’Inde, qui consacrent pour lui le souvenir du sol natal. Un mariage, un baptême d’après les rites de la religion hindoue sont aussi, dans beaucoup de cas, accompagnés à Maurice de toutes les cérémonies observées dans l’Inde en pareille occasion. Ce sont des offrandes, des libations à Brahma, Civa et Vichnou, trinité antique qui a précédé celle du catholicisme ; c’est la représentation de drames sans fin, qui se rattachent également aux religions nationales. Les acteurs y sont vêtus de riches et splendides costumes apportés exprès de Madras et de Calcutta, et dont on ne se sert que pour ces occasions solennelles.

Venus avec les travailleurs indiens à Maurice, mais préoccupés d’un but différent, se présentent en rangs peu serrés les Chinois, les Arabes, les mahométans de l’Inde et les Parsis. Tout a été dit sur les premiers, en fort bons termes, dans une étude qui a paru dans la Revue[1]. Insistons seulement sur un fait. Nos colons de La Réunion, voulant imiter ceux de Maurice et suivant une vieille routine, se sont attachés à demander des travailleurs de l’Inde ; mais nos comptoirs ont bien vite fini de leur en fournir. On s’est alors adressé à la Grande-Bretagne. Le gouvernement anglais, jaloux de ses prérogatives

  1. Les Chinois hors de la Chine, par M. Alfred Jacobs, Revue du 1er novembre 1858.