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sous sa plume une apparence d’autorité. Une fois admises, elles l’enrichirent, tout comme eussent pu le faire les vérités les mieux démontrées. Ces théories étaient d’une adorable simplicité : il niait carrément la possibilité d’une guérison. Partant de là, il s’attachait à démontrer qu’après deux ou trois « cruautés » inévitables, la bonté, la douceur réussissaient mieux avec les aliénés que les coups de poing ou les coups de bâton, fort en usage au siècle dernier, ainsi qu’en eussent au besoin témoigné les épaules royales de George III. — Non, disait-il à ceux qui réclamaient ses soins, je ne me charge pas de guérir, mais je me charge de « calmer » ces pauvres malades, et c’est déjà beaucoup de gagné, croyez-moi bien.

Parmi ceux à qui s’adressait ce langage, plus d’un était surtout séduit par cette partie du programme : « Je ne me charge pas de guérir… » Ils soupiraient, levaient les yeux au ciel, acquiesçaient en gémissant à la désespérante doctrine, et s’en allaient, enchantés au fond que le parent dont la mort civile les faisait héritiers fût à jamais retenu, en vertu des lettres de cachet du docteur, dans cette grande bastille rougeâtre. Quant à M. X…, il prenait pour fous bons et valables tous ceux qu’on lui présentait en cette qualité. Si les parens se trompaient, tant pis pour eux ; il leur laissait l’erreur sur la conscience. Ainsi allaient les choses il y a trente ans, c’est-à-dire longtemps après l’établissement en ce pays de la religion réformée. On prétend qu’elles vont encore ainsi, — avec quelques légères atténuations, — aujourd’hui que les locomotives nous mènent à toute vapeur sur le railway du progrès.

Donc, quand on lui amenait un nouveau « malade, » le docteur tenait essentiellement à l’examiner seul à seul. Les plus violens ne lui faisaient pas peur. Dans cette première conférence, la plupart manifestaient des dispositions insubordonnées. Intrépide et robuste, le docteur marchait alors sur le rebelle, et d’un coup de poing l’étendait à ses pieds. Quelques-uns essayaient de se relever, de lutter, mais ils avaient affaire à un athlète consommé : pas un qui ne fût en définitive complètement vaincu et réduit. Une fois sa suprématie physique et morale ainsi établie, le docteur redevenait le meilleur garçon du monde, et procédait en toute loyauté au triage de ses « sujets. »

Son établissement comprenait pour ainsi dire trois provinces distinctes, qu’il appelait en riant ses trois royaumes : pour les furieux, le donjon, sans trop d’air ni de lumière ; au rez-de-chaussée, les désobéissans, les agités ; au second et troisième étage, les mélancoliques et les satisfaits, — en un mot les classes paisibles. Un système équitable de promotion graduée faisait passer de l’une à l’autre division, c’est-à-dire d’un étage à l’autre, ceux qui s’en montraient dignes par leurs progrès vers l’état de « calme » où le