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« C’est dans l’Académie des Beaux-Arts elle-même que sont les juges de ces problèmes ; nous leur livrons nos aperçus sans autre commentaire ; ils sauront mieux que nous le parti qu’on en peut tirer… Aujourd’hui que tout semble prêt à s’éteindre sans être remplacé,… n’est-il pas permis de regretter qu’on ait quitté trop tôt la voie qu’avaient suivie nos pères, et ne peut-on se demander si, pour le corps illustre qui tient la place de l’ancienne Académie, aussi bien que pour notre jeunesse, il n’y aurait pas profit à faire quelques emprunts aux idées et aux statuts de 1648 ? »

Quelle que doive être au surplus, dans le domaine de la pratique, l’influence des exemples de l’ancienne Académie, les souvenirs qu’elle a laissés intéressent de trop près la gloire de l’art national pour qu’aucun de nous puisse les négliger ou les accueillir froidement. L’histoire de l’Académie est en effet l’histoire même de la peinture française, non pas depuis que notre école existe, — elle remonte bien au-delà, — mais depuis qu’elle est sortie de la période des essais pour se constituer au grand jour, pour se développer dans le sens exact de ses forces et de ses aptitudes. Les noms inscrits sur la liste des académiciens ne laissent pas de lacune dans la généalogie des talens qui se sont succédé en France depuis la seconde moitié du XVIIe siècle. Un seul, il est vrai, et le plus grand de tous, le nom de Poussin, manque dans ce livre d’or de notre école. Toutefois, suivant l’ordre chronologique, il avoisine de si près ceux qui y figurent les premiers, les doctrines dont on voulait d’abord assurer le succès procèdent si directement des principes émis par le noble maître que, même absent, Poussin semble, à vrai dire, le chef naturel et le patron de l’Académie. Le nom de David clôt à peu près la liste, comme, dans l’histoire des écoles italiennes, la longue série des artistes éminens aboutit au nom de Dominiquin, — sauf cette différence pourtant que le peintre bolonais n’a de commun avec ses aïeux que la célébrité, tandis que le peintre français se rattache au passé par les caractères mêmes de son génie, par ses aspirations, par ses travaux. À plus de cent ans d’intervalle, la Mort de Socrate venait continuer quelque chose de la poétique formulée dans l’Eudamidas, de même que, dans les portraits peints sous le règne de Louis XVI par Mme Lebrun et par d’autres membres de l’Académie, un vif souvenir survivait encore de la tradition léguée, au commencement du siècle, par les maîtres du genre.

Ainsi, contrairement à ce qui se passe en Italie, la filiation des talens n’a chez nous ni interruption, ni équivoque. La physionomie des descendans rappelle les traits des chefs de la race, les souvenirs de famille se retrouvent au fond des tentatives particulières, au fond des actes de chacun, et là même où ces tentatives semblent le plus