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une part de notre admiration, non-seulement pour la majestueuse raison de Poussin ou pour la raison émue de Lesueur, mais pour ces facultés d’analyse, pour cette pieuse fidélité au bon sens qu’attestent dans notre école tant d’œuvres signées de moins grands noms.

Dès l’origine, l’Académie de peinture avait eu, entre autres avantages, celui d’offrir un encouragement ou une sanction à ces coutumes judicieuses de la pensée, à ces tendances presque littéraires en matière d’art qui apparaissent déjà au XVIe siècle dans les travaux de nos portraitistes, qui se confirment dans les œuvres de Philippe de Champagne, de Ferdinand et de quelques autres, et que les disciples de Vouet continuent eux-mêmes à leur manière. Aussi, sauf les affaires et les ennuis du dehors, tout se passa-t-il au mieux durant ces premières années[1]. Chaque talent ayant déjà fait ses preuves semble emprunter un surcroît de certitude au contact des talens voisins ; chaque jeune artiste qui se forme à cette école y puise, en même temps que le savoir, le goût des hautes entreprises, le dédain pour les petites ruses du métier. Même à l’époque où Lebrun exagère, par son autorité et par ses exemples, le triomphe de la cause académique, quelque chose de probe, de viril, de décidément français, s’affirme partout et se fait jour sous les apparences souvent fastueuses de la manière. Lebrun mort, rien n’est en péril encore, rien n’est compromis de ce caractère de dignité que les premiers membres et les premiers travaux de l’Académie avaient imprimé à l’art national. On dirait au contraire qu’en se recrutant, surtout parmi les peintres de portrait, de talens relativement sobres, en appelant à siéger d’abord, et bientôt à professer, des hommes comme Rigaud et Robert Tournière, la compagnie entend agir plus directement dans le sens de nos inclinations naturelles. Peut-être entend-elle aussi se prémunir contre certaines fantaisies pittoresques plus dangereuses que ne l’étaient les récentes exagérations du style épique, et accumuler ses moyens de défense en vue des agressions qui vont suivre. Le moment est proche en effet où,

  1. Si l’on est curieux de connaître, au-delà même de l’excellent résumé qu’en a donné M. Vitet, les détails relatifs aux démêlés de l’Académie royale avec les gens de robe et avec l’Académie de Saint-Luc, on les trouvera consignés tout au long dans des Mémoires publiés il y a quelques années par M. de Montaiglon et attribués par lui, avec une grande apparence de raison, au peintre Henry Testelin, un des académiciens primitifs. D’autres Mémoires sur la vie et les ouvrages des membres de l’Académie royale, imprimés d’après les manuscrits que possède l’École des Beaux-Arts, contiennent une suite de notices nécrologiques consacrées par les historiographes de la compagnie aux plus renommés des académiciens qui se succédèrent depuis 1648 jusque vers le milieu du XVIIIe siècle. Nous avons eu l’occasion de parler de cette publication et de l’intérêt qu’elle présente dans la Revue du 15 septembre 1854.