Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/881

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une discipline commune et en vertu de certaines institutions publiques. Tout y est le fait de l’autorité personnelle, tout progrès dépend de l’action exercée par un homme. Chaque tentative dans un sens provoque, même sur place, quelque tentative, sinon contraire, au moins imprévue, ou correspond ailleurs à des efforts tout différens. Aussi à aucune époque de l’histoire et dans aucune ville les peintres italiens ne semblent-ils fort empressés de se réunir pour se communiquer leurs découvertes ou pour discuter leurs théories. Les confréries qu’ils fondent n’ont guère un autre caractère que celui d’une association pieuse ou d’un syndicat commercial. La première académie de peinture, si l’on veut, la confrérie de Saint-Luc, existe, il est vrai, dès l’année 1350 ; mais les membres, disent les statuts, ne devaient s’assembler que « pour chanter les louanges de Dieu et lui rendre des actions de grâce. » Il y a bien à Florence, à Sienne, à Venise, des corporations d’artistes, comme il y a pour les marchands l’Arte della Lana ou l’Arte della Seta ; il s’établit même à Milan, au moment où Léonard y séjourne, une sorte de lycée dans lequel le maître ouvre, sur divers sujets, des conférences dont son Traité de la Peinture nous a conservé quelque chose. Enfin, lorsque les Carrache entreprennent à Bologne de suppléer à l’inspiration par l’esprit de système, lorsqu’ils prétendent, à force de science, galvaniser le génie éteint de l’art italien, un de leurs premiers soins est d’installer une académie où l’action sera préparée par la parole, où l’éclectisme de la pratique aura eu pour raison d’être et pour principe l’étude des conditions théoriques, de l’histoire et des variations du beau.

Quels que soient le rôle et l’importance relative de ces corporations ou de ces sociétés savantes en Italie, le tout, sauf l’académie bolonaise, n’engage guère l’indépendance des artistes au-delà de certaines mesures de police, ou, — s’il s’agit d’un groupe comme celui qui entoure Léonard, — au-delà d’une solidarité naturelle entre le maître et les élèves. En réalité, chacun étant libre d’agir à sa guise et chacun usant de cette liberté, la vie et le mouvement, au lieu de se concentrer dans un domaine officiel, se disséminent partout et résultent partout des efforts privés. C’est dans les ateliers des peintres, dans leurs boutiques, pour employer avec Vasari le terme consacré, que se préparent ou s’accomplissent les progrès qui se traduiront en œuvres éclatantes sur les murs des églises et des palais. C’est là que se déroule l’histoire tout entière de la peinture italienne depuis le jour où Cimabue surveille les premiers essais de Giotto jusqu’au jour, plus fortuné encore, où le futur peintre des Stanze révèle, sous les yeux du Pérugin, les premiers secrets de son génie. Plus tard, quand la décadence semble imminente en