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période de perfectionnement et de fécondité universelle n’est que la promesse ou la préface de succès bien autrement décisifs, d’une abondance de chefs-d’œuvre plus surprenante encore. Un instant, il est vrai, les efforts se ralentissent, le mouvement demeure comme suspendu. À la veille d’entrer dans sa phase la plus illustre, l’art italien, particulièrement à Florence, semble s’inquiéter, se repentir presque des découvertes qu’il a faites, des progrès qu’il vient d’accomplir. Tandis que, vaincus par la sainte éloquence de Savonarole, des peintres désavouent leur zèle pour la beauté profane, sauf à hésiter quelque peu sur les moyens de restaurer un culte plus pur, d’autres, vieillis ou morts déjà, laissent plus d’une place inoccupée dans des rangs si serrés, si bien remplis jusqu’alors. On dirait que, pressentant la venue des nouveaux prophètes, l’art italien se recueille dans l’attente de ses destinées prochaines, et que tout exprès il garde le silence.

Nous ne prétendons nullement, est-il besoin de le dire ? recommander à l’admiration les merveilles du XVIe siècle, ni saluer d’un hommage banal à force d’être légitime la gloire souveraine des maîtres appartenant à cette dernière phase de la renaissance. À quoi bon mentionner une fois de plus des chefs-d’œuvre populaires entre tous, des noms présens à toutes les mémoires ? Personne, — si ce n’est peut-être quelque apôtre de cette petite secte préraphaélite qui s’agite, de l’autre côté du détroit, dans une entreprise sans issue comme sans danger, dans des défis seulement bizarres aux plus grands souvenirs de l’art et aux plus nécessaires traditions, — personne ne s’est avisé encore de nier, au point de vue du vrai et du beau pittoresques, l’excellence de pareils modèles, l’autorité de pareils noms. On accueille avec une vénération unanime les progrès que résument les travaux de Léonard, de Raphaël, d’Andréa del Sarto, de Corrége, de tous ces artistes incomparables auxquels Michel-Ange et Titien survivent presque jusqu’à la fin du siècle, comme pour retarder la décadence qui se prépare et confirmer la double révolution accomplie dans le domaine de la forme et dans celui de la couleur. Tout en s’inclinant devant la majesté extérieure des œuvres, on s’est cru néanmoins le droit d’en discuter la valeur morale, d’en accuser les inspirations intimes et l’esprit. Raphaël principalement, le plus compromis, il est vrai, par la perfection même de sa manière, dans le dernier mouvement de la renaissance italienne, Raphaël, à en croire quelques artistes et quelques écrivains allemands ou français, n’aurait réussi, au-delà des premières années de sa carrière, qu’à déterminer le triomphe du sensualisme sur l’idéal chrétien, à installer le paganisme dans l’art aussi bien que dans le sanctuaire.