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À ne consulter que la chronologie, plusieurs noms, il est vrai, devraient trouver place, avant celui de Giotto, dans l’histoire des origines de la peinture italienne. Sans parler même de Cimabue, qui essaya, sinon de répudier, au moins de modifier les traditions byzantines, acceptées jusqu’alors à Florence comme des lois immuables, on pourrait surprendre chez d’autres peintres, à Pise, à Bologne, et principalement à Sienne, certaines velléités de progrès, certaines arrière-pensées d’indépendance, sous les formes consacrées de la pratique ; mais le tout, de si près qu’on y regarde, demeure encore à l’état d’intention. Dans les œuvres de ces imitateurs plus ou moins dociles des Grecs, l’érudition moderne a su ou voulu discerner quelques symptômes d’une manière personnelle, quelques indices d’une habileté supérieure parfois au modeste savoir-faire de l’école, et, un peu de partialité municipale venant en aide à l’archéologie, on s’est appliqué en Italie à détourner sur telle ville l’honneur des réformes attribuées depuis des siècles à Florence. On s’est plu à venger la mémoire de tel artiste primitif oublié ou dédaigné par Vasari. Rien de mieux, à la condition pourtant de n’estimer qu’à leur prix ces timides essais d’émancipation, d’accorder un bien autre crédit aux témoignages de régénération formelle, et, tout en distinguant soigneusement entre les devanciers de Giotto, de sacrifier sans scrupule à la gloire du grand maître l’importance relative qui leur appartient ou l’intérêt qu’ils peuvent exciter.

C’est sous les mêmes réserves qu’il convient d’apprécier les titres, si méritoires qu’ils soient d’ailleurs, de quelques contemporains de Giotto ou des peintres formés directement à son école. Lui vivant, plus d’un noble talent surgit ou se développa, dont les œuvres sembleraient peut-être en mesure de rivaliser avec les siennes. Trois maîtres siennois surtout, Ambrogio Lorenzetti, Simone Memmi et le premier par l’âge comme par le mérite, Duccio, réussissent encore aujourd’hui à intéresser le regard qui vient de contempler les austères images tracées par le chef de l’école florentine. Et cependant qu’ont-ils découvert que celui-ci n’ait au moins pressenti ? qu’ont-ils voulu traduire dans la nature qu’il n’ait lui-même plus vivement exprimé ? Sauf une certaine originalité dans le choix des types et çà et là dans les formes du style, quelles preuves ont-ils données d’une inspiration assez forte pour lutter avec cette imagination puissante, avec cette robuste volonté ? Non, s’il fallait trouver à Giotto un rival ou du moins un second digne de lui dans ce siècle sur lequel il règne, on ne devrait le chercher ni parmi les prédécesseurs immédiats, ni parmi les contemporains du maître. C’est lorsque la révolution entreprise a été conclue sous ses auspices, c’est lorsqu’il a disparu lui-même léguant à tous une doctrine sûre, des exemples