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créoles sont restés Français par le cœur et par la langue, et rien ne les a plus froissés récemment que la décision, partie de Londres, qui rend l’usage de la langue anglaise obligatoire auprès des tribunaux.

Le caractère créole a tant de fois été dépeint qu’il est inutile d’y revenir. Répéter que le Français ajoute dans les colonies à son courage naturel on ne sait quoi de fier et d’entreprenant, et que l’élévation, l’ardeur de ses sentimens s’accroît encore au feu des tropiques, redire que la femme emprunte au climat de ces contrées une poétique nonchalance, une indéfinissable beauté, insister sur la large et généreuse hospitalité qui se pratique aux colonies, ce serait rappeler ce qui est connu de tout le monde. Allez visiter par exemple la belle sucrerie de Gros-Bois, appartenant à un respectable planteur, M. Vallet. L’heureuse union d’une gracieuse famille, la vénération dont elle entoure son chef, le charmant accueil qu’elle fait à tous ses hôtes, vous toucheront comme nous, car on ne connaît plus en France les vieilles mœurs que par tradition. Toutefois l’on ne saurait se dissimuler que les coutumes créoles exaltèrent chaque jour à Maurice, surtout à la ville. Les étrangers ont afflué ; certains ont abusé de la naïve confiance des habitans ; d’autres, empressés de faire une fortune rapide, y ont souvent mieux réussi que le colon depuis longtemps établi. De là une certaine jalousie méfiante de la part du créole. Avec l’abolition de l’esclavage, le service domestique est d’ailleurs devenu de plus en plus difficile. Le noir fidèle a disparu de la maison où souvent il était né. Il a été remplacé par l’Indien, sorte de serviteur indifférent, ne parlant pas même le créole, loué à l’année, et ne songeant qu’à amasser un petit pécule pour travailler à un métier libre ou retourner dans son pays. Aussi l’étranger ne vient-il plus guère à Port-Louis, comme dans la plupart des plantations, que pour un temps limité ; il ne songe qu’à rentrer au plus vite en Europe chargé d’écus, mais non d’années. Après l’heure des affaires, on court s’isoler chez soi en rêvant aux opérations du lendemain. On s’endort sous la varangue, tandis que dans les rues, sombres et solitaires dès sept heures, se glissent quelques passans attardés. Le grincement monotone des rares réverbères, dont la clarté douteuse est rendue plus incertaine encore par le souffle de la brise, la conversation somnolente de quelques Indiens étendus devant la grille qui donne sur la rue, pendant que leurs maîtres sommeillent sous les ombrages du jardin, tel est le spectacle invariable qu’offre le soir la cité de Port-Louis. Aucune promenade n’est à cette heure fréquentée, aucune familière se montre dans les rues par ces belles nuits des tropiques, inondées d’une si douce lumière quand la lune éclaire le ciel. Par momens, une réception à l’hôtel du gouvernement, une représentation théâtrale, un bal de