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vis-à-vis de l’Autriche dans les limites de la Hongrie, mais à la prééminence vis-à-vis des races qui l’habitent avec eux et vis-à-vis de voisins autrefois leurs tributaires, inférieurs encore à eux-mêmes par la civilisation, les Croates, les Dalmates, les Transylvains et les Serbes. Cette prééminence, ils veulent l’exercer en garantissant à toutes ces races les droits du citoyen, qui font l’homme. L’Autriche avait été appelée à cette grande mission, elle l’a négligée pour des projets égoïstes et condamnables ; elle a laissé se dégrader dans l’ignorance et la corruption les peuples soumis à son absolutisme. Le rôle qu’elle a méconnu, les Magyars le revendiquent du droit du plus digne. Constituer la Hongrie de la Mer-Noire à l’Adriatique, à côté de l’Autriche ou sans elle, comme le souhaitent les plus modérés, la constituer contre l’Autriche même, comme le veulent les partis extrêmes, telle est la pensée sérieuse que le mouvement magyar a révélée sous toutes les formes, depuis les résolutions de la diète et les violences des comitats jusqu’à l’emploi exclusif de la langue et du costume national, adoptés par toutes les classes de la population.

On a vu cependant que les Magyars forment à peine la moitié de la population de la Hongrie, de même que les Tchèques ne font que la moitié de la population de la Bohème ; mais tandis que les Tchèques sont la moitié la plus ignorante et la plus pauvre de la Bohême, les Magyars sont ou les plus riches ou les plus civilisés de la Hongrie. La terre autrefois en Hongrie était noble ; les Magyars cultivateurs, fermiers ou propriétaires, appartiennent pour les sept huitièmes à la noblesse. Un berger hongrois vous montrera des armoiries suspendues dans sa cabane à côté de ses armes. De là ce sentiment de fierté, cet orgueil qui fait les peuples libres ; de là aussi cette prépondérance sur les autres races qui habitent la même terre. Les Allemands, les Valaques, les Serbes, qui forment l’autre moitié de la population hongroise, descendent pour la plupart de colonies fondées sur des terres objet de cessions royales, et envoyées pour repeupler le pays après les ravages des Turcs. Ces colons n’étaient pas propriétaires et par conséquent ils n’étaient pas nobles ; ils vivaient dans des villages tout à fait distincts, sans communication entre eux. Un village bulgare côtoyait un village allemand sans que les habitans eussent aucun rapport. Usages, langue, religion, tout au contraire les divisait[1]. Quoi d’étonnant alors que les Magyars, c’est-à-dire la véritable aristocratie du pays, exerçassent toute prépondérance sur une terre qui n’appartenait qu’à eux ? Seuls les Magyars étaient, en évidence, et aujourd’hui encore, alors même que des Serbes et des

  1. Voyez l’étude de M. Saint-René Taillandier dans la Revue du 1er juillet 1856.