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que ce même esprit soit encore, à ce qu’il semble et ce qui n’existait pas même en 1848, celui de l’unanimité des Hongrois.

Évidemment la maison régnante compte des partisans en Hongrie ; un certain nombre des membres de la chambre haute l’ont servie, M. Deak lui-même passe pour avoir des opinions monarchiques. Comment se fait-il cependant que ces projets d’union personnelle n’aient pas trouvé un seul contradicteur ? Serait-ce manque de clairvoyance ? L’exemple donné en 1848 est pourtant encore présent à tous les esprits. Et comment est-il permis de supposer que la Hongrie, constituée comme le veulent les Magyars, c’est-à-dire avec toutes ses annexes et une population de 14 millions d’habitans, marcherait sans troubles et sans secousses dans une voie parallèle à celle de l’Autriche, à peine restée son égale en puissance, sous l’autorité nominale d’un même souverain ? Des rivalités, des dissidences de vues politiques ne rompraient-elles pas bientôt un aussi faible lien, alors surtout qu’il existe en Hongrie un parti antidynastique compacte et ardent ? Ce qui, selon nous, a pu réunir dans une même ligne de conduite des esprits divisés au fond par des opinions sincères, c’est d’abord la conviction qu’ils n’ont pas à recevoir une constitution octroyée, mais à rentrer dans l’exercice de droits imprescriptibles, c’est ensuite la défiance que peuvent inspirer et la mobilité et la faiblesse du gouvernement autrichien. À Vienne, le libéralisme est de fraîche date et peut ne pas encore paraître assez sincère pour qu’il n’y ait point de retours possibles vers un régime détesté. Il y a plus, le gouvernement de l’Autriche est assailli au dedans et au dehors par des ennemis acharnés ; cette patrie officielle est minée par des embarras financiers, rongée par un déficit incurable, et au dire de bien des gens entraînée à sa perte par une politique à bout de voies. Faut-il donc lui sacrifier la patrie véritable et se jeter avec elle dans le gouffre où elle doit périr ? Telles sont peut-être les réflexions qui sont venues à plus d’un conservateur hésitant entre sa loyauté et son patriotisme. En réalité, comme toutes ces nuances se confondent dans une seule, comme l’union personnelle aboutit infailliblement à la séparation, c’est cette hypothèse même qu’il faut apprécier, et le parti avec lequel il faut compter, c’est le parti extrême et révolutionnaire, qui a pour lui la force d’impulsion et la logique rigoureuse.

Les Magyars, nous ne disons point les Hongrois, forment une race militaire, intelligente et hardie, qui à la conscience de ce qu’elle vaut et l’ambition de réaliser ce qu’elle souhaite. Sans remonter à des époques éloignées, sans même invoquer des précédens historiques qui ne constituent pas toujours un droit pour le présent, les Magyars prétendent non-seulement à l’indépendance