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Après douze années de silence, la convocation de la diète de 1861, les séances de cette diète, enfin l’attitude des députés tchèques au Reichsrath de Vienne, vinrent confirmer de nouveau l’existence d’une question nationale, la question bohème. Si l’on fait attention à la proportion réciproque des races qui habitent la Bohème et la Moravie[1], on s’étonnera que, dans les élections diétales, les Allemands, qui ne forment pas la moitié de la population, aient obtenu la majorité ; mais il faut dire que la race slave est de beaucoup inférieure à la race allemande sous le rapport des lumières et de la richesse. Tous les représentans de l’industrie sont Allemands, et l’industrie est très développée en Bohême et en Moravie. Tel industriel de Brünn lutte sur les marchés étrangers, en Amérique surtout, avec les fabricans français, belges, anglais même. La grande propriété est aux mains d’une aristocratie dont les membres, quoique professant des opinions plus ou moins libérales, ne peuvent compter ailleurs que dans le parti allemand. C’est donc seulement dans les communes rurales que les Tchèques ont pu choisir leurs représentans. Toutefois il s’est produit dans les élections et dans la diète de Bohême un rapprochement singulier qui prouve une fois de plus que les extrêmes peuvent se toucher. Entre certains membres de cette aristocratie, qui combattait en 1848 avec le prince Windischgratz, et les démocrates tchèques, dont M. Rieger, avocat à Prague, est l’orateur le plus éloquent, une certaine entente s’est établie pour la revendication d’une autonomie dont le résultat possible serait le rétablissement des grandes influences locales aussi bien que la création à Prague d’importantes fonctions administratives. Dans la session de la diète de Prague, présidée par le comte Nostitz, cette entente s’est tout d’abord dissimulée sous l’apparence d’un désir unanime de conciliation. L’adresse à l’empereur, conçue en termes sympathiques, fut votée par acclamation ; mais elle fut accompagnée d’un vote qui autorisait l’envoi à l’empereur d’une députation pour lui rappeler la nécessité de venir ceindre à Prague la couronne sacrée de Wenceslas. Cette proposition était ouvertement inspirée par une pensée d’autonomie bohème. Enfin cet accord fut surtout visible, lorsqu’en retour de l’appui prêté aux prétentions tchèques par les grands seigneurs de la Bohême, ceux-ci obtinrent des représentans des paysans eux-mêmes quelques paroles favorables au rétablissement d’anciens privilèges. Toutefois le parti libéral allemand eut plutôt des inquiétudes à concevoir que des griefs à formuler, et, après l’élection des membres du Reichsrath, la diète de Bohème suspendit ses séances.

  1. En Bohême, on compte 4,766,000 Allemands contre 2,925,000 Tchèques, en Moravie 1,325,000 Tchèques contre 483,000 Allemands, enfin, pour la Silésie jointe à la Moravie, 235,000 Allemands, 92,000 Tchèques et 132,000 Polonais.