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des ressentimens qui se feraient peut-être jour dans la lutte électorale ; enfin l’animosité des Slaves ruthènes contre les Slaves polonais, c’est-à-dire des grecs russes contre les catholiques, n’allait-elle pas faire explosion dans ce contact forcé entre des races irréconciliables ? L’issue des élections prouva que la situation s’était beaucoup améliorée depuis quelques années. Dans le système dont l’empereur Joseph II était l’auteur, la noblesse galicienne se trouvait chargée du recensement et de la levée des impôts ainsi que de l’administration de la justice en première instance. Ce régime avait inspiré au peuple attaché à la glèbe et soumis aux corvées une haine dont les sauvages fureurs s’étaient déchaînées en 1846 ; mais depuis que les privilèges féodaux avaient été abolis et rachetés dans tout l’empire à l’aide de ces obligations de la terre (Grundentlastung) dont on a souvent expliqué le système, les rapports s’étaient beaucoup adoucis entre les anciens seigneurs et les paysans : ils s’amélioreront encore sous l’influence du nouveau régime constitutionnel proclamé par l’empereur François-Joseph. Tout en conservant l’espoir de reconstituer un jour la patrie commune, les Polonais eux-mêmes ne pourront méconnaître ce que la patrie restreinte, si l’on peut ainsi parler, a obtenu de garanties sérieuses, et combien le sort de la Galicie est devenu préférable à la condition du duché de Posen et du royaume de Varsovie. À l’heure des élections, le choix des communes fut en grande partie favorable à la politique allemande ; mais dans la classe des grands propriétaires, dans celle des habitans des villes, le parti national ou polonais l’emporta, et il obtint en définitive la majorité dans la diète. Dès la première séance, après le vote d’une adresse de remerciement à l’empereur, un grand propriétaire polonais, le comte Adam Potocki, provoqua une déclaration contre le rétablissement de la corvée, et un député paysan proposa de nommer dans chaque commune des arbitres pour régler la question, très grave en Galicie, de la propriété et de l’usage des bois et pâturages communaux. On ne tarda pas à procéder à l’élection des membres du Reichsrath, ce qui fut fait avec un grand esprit d’équité, et l’assemblée, présidée par le prince Léon Sapiéha, dut se proroger en exprimant le vœu que, dans une session plus longue et prochaine, elle pût enfin procéder à l’accomplissement de la tâche législative qui lui avait été confiée pour restaurer les droits nationaux de la Galicie, tels que l’indépendance administrative, la liberté de l’instruction, et en première ligne l’usage officiel de la langue polonaise.

La Bohême ne présenta pas le spectacle d’un esprit aussi prudent et d’une politique aussi habile. À vrai dire, les griefs spéciaux de la Bohême contre le gouvernement autrichien étaient généralement