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le produisent quelque chose de plus que l’attraction des astres et la configuration normale du lit de la rivière. Ce quelque chose ne peut être que le relief essentiellement variable des bancs de sable qui se forment dans le golfe intérieur de l’embouchure de la Seine au-dessous du débouché du chenal. Essayons de saisir ce qui se passe dans cette région.

Les sables qui remontent de la mer dans l’embouchure de la Seine ne s’y déposent pas en couches régulières ; ils s’accumulent de préférence sur les points où le calme produit par la rencontre du flot et du jusant a le plus de durée, c’est-à-dire vers l’entrée du chenal de la Seine dans le golfe intérieur. Les bancs qui se forment ainsi s’appelaient autrefois le Tot ; ils sont maintenant ensevelis dans les alluvions recueillies en arrière des digues de Petiville et du Mesnil ; mais les causes sous l’influence desquelles ils étaient nés n’ont pas cessé d’agir : la marée se charge toujours le long de la côte du Port-en-Bessin, d’Arromanches, de Villers et de Trouville, des débris des falaises écroulées, et tant que la côte sera ce qu’elle est, le débouché du chenal aura toujours un banc du Tot devant soi. Ce banc gît en ce moment dans l’angle ouvert entre les digues du Marais-Vernier et le revers occidental du Nais de Tancarville, et la consistance en est depuis peu assez grande : la mer montante se divise en l’atteignant, court sur ses flancs en ondes rapides, et ces courans se retournent l’un contre l’autre après avoir dépassé le banc, se heurtent, s’exhaussent par le choc, et finissent par former en travers du golfe le bourrelet liquide que, dans leur langage expressif, les matelots appellent la barre. À sa place actuelle, la barre est inévitablement fortifiée par le remous des eaux qui rencontrent sur la rive gauche, dans la pointe de La Roque et l’extrémité de la digue du Marais-Vernier, un obstacle perpendiculaire de 2,700 mètres de longueur. Voilà donc le fond du golfe barré par l’amoncellement tumultueux d’ondes qui se combattent et s’élèvent au-dessus du niveau des eaux adjacentes ; mais le flot qui vient de la mer grossit en arrière du barrage liquide : il le presse, il le pousse ; l’équilibre se rompt, la masse d’eau dont la course était suspendue se précipite de haut en bas, comme une éclusée gigantesque, dans le chenal paisible de la Seine. Telle est, ou je m’abuse beaucoup, la condition complémentaire de la formation du mascaret. La transition de la largeur du golfe au rétrécissement du chenal et l’interférence des ondes de marées ne feraient en se combinant seules que pousser très vivement le flot en rivière. Pour lui donner la violence de la marée du 5 octobre, il faut une cataracte soudaine.

À la suite de l’endiguement de l’ancien banc du Tot, on a proclamé la suppression du mascaret : elle a duré juste le temps nécessaire pour le dépôt du banc actuel. Un décret a récemment prescrit