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Ce fut à Pont-de-l’Arche que commença, en 1449, la série de revers au bout de laquelle les Anglais furent définitivement expulsés de la Normandie. Le duc de Sommerset avait enlevé Fougères en pleine trêve ; Alain Chartier raconte comment il fut tiré vengeance de cette trahison. « Pour commencement de faire la guerre pour le duc de Bretaigne, dit-il, messire Pierre de Brézé, du pays d’Anjou, Robert de Flocques, du pays de Normandie, Jacques de Clermont, du pays de Daulphiné, et Guillaume de Bigars eurent entreprise sur la ville et chastel de Pont-de-l’Arche par le moyen d’un marchand de Louviers, lequel menoit souvent son charroi par Pont-de-l’Arche. Et vindrent les dits seigneurs eulx embuschier de pied devers le pont Saint-Ouyn, et Robert de Flocques avec quatre ou cinq cents combattons à cheval dedans le boys du costé de Louviers. Le marchand lui troisième vint de Louviers un jeudi de mai passer une charrette par dedans le Pont-de-l’Arche, feignant d’aller à Rouen, et parla au portier du chastel pour lui ouvrir la porte pour retourner à Louviers, et lui promit donner le vin. Et retourna le marchand, comme à heure de mi-nuict, accompagné de plusieurs de l’embusche de pied, et logèrent en une hostellerie joignant le chastel, et incontinent saillirent pour venir au boulevard, dont icelui portier se doubta ; mais le marchand lui dit qu’ils estoient de Louviers. Lors le marchand lui jeta à terre pour son vin deux bretons et une placque, et ainsi qu’il les levoit, le marchand le tua et laissa sa charrette sur le pont du boulevard. Ceux du chastel ouirent le bruit, et en descendit un homme hastivement en sa chemise qui cuida lever le pont du chastel pour ce que le boulevard était prins. Mais le dit marchand se hasta et le tua. Ainsi prindrent le chastel et vinrent au plus près du pont et prindrent la ville, et là furent que morts et que prins tous les Anglais, qui estoient de cent à six-vingts. Et quand ceulx de pied furent en la ville, ils ouvrirent la porte de Louviers, par laquelle entrèrent le bailly d’Évreux et le sire de Maugny et toutes leurs gens, et crioient : Bretaigne et Saint-Yves ! » L’histoire n’a point conservé le nom du brave marchand de Louviers, et ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’elle ait oublié les petits à qui la victoire était due pour mieux glorifier les grands à qui elle profitait.

« Pont-de-l’Arche, continue le chroniqueur, est une moult belle place et un très fort chastel et beau pont assis sur la Seine. » Entrons dans l’église où Charles VII vint remercier Dieu de cette conquête : un des vitraux y représente le lieu de l’action racontée par Alain Chartier. Elle se passa sur la rive droite ; l’île du bout du pont était alors entièrement occupée par des fortifications dont elle porte encore des vestiges, et le petit bras, qui faisait office de fossé,