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ordinaires, la filature et le tissage du coton. Elbeuf et Louviers sont avec Sedan les métropoles de notre fabrication de draps dans le nord, et, tout en profitant beaucoup du voisinage de Rouen, ils s’appartiennent davantage. Colbert passe assez généralement pour le créateur de l’industrie de ces deux villes ; il n’en a été que le fécondateur. L’heureuse situation, les laborieuses habitudes d’Elbeuf et de Louviers, une population ouvrière toute formée, offraient des élémens de succès qui ne pouvaient lui échapper, et qu’il mit en œuvre avec un rare bonheur. Ce ne sont point seulement la vivacité des couleurs, l’harmonie de la composition, la correction du dessin, qui intéressent dans les vitraux des vieilles églises de Normandie : on consignait souvent dans ces peintures inaltérables des traits de l’histoire locale, et elles sont quelquefois, pour l’éclaircissement des événemens ou des coutumes du passé, d’un secours qui vaut celui des inscriptions et des médailles. Tels sont à Elbeuf les vitraux des églises de Saint-Etienne et de Saint-Jean : on y voit quels étaient au XVe siècle les procédés de la fabrication des draps. Des bateaux couverts y servent au lavage des laines ; des tisserands y manœuvrent l’ourdissoir ; une force à tondre les draps, des croisées de chardons pour les peigner, s’y montrent comme instrumens, et la figure de saint Roch, patron des tisserands, y est offerte à l’affectueuse vénération de ses confrères. Les règlemens de Colbert sont de 1667, par conséquent postérieurs d’au moins deux cents ans à ces manifestations de l’existence d’une industrie qui devait être beaucoup plus ancienne.

Lorsque Colbert se mit à l’œuvre, on ne fabriquait guère en France que des lainages grossiers ; les draps fins se tiraient d’Espagne et d’Italie. Pour enraciner à jamais cette fabrication dans notre pays, il fallait s’en approprier la matière première. En 1671, Colbert chargea Fermanel, que nous connaissons déjà, de se procurer deux par deux, une par une, une quarantaine des plus belles bêtes à laine d’Angleterre ; il donnait en même temps au consul de France à Cadix commission de faire transporter, en attendant mieux, à bord de vaisseaux du roi en croisière devant cette ville vingt-quatre béliers de Ségovie. Ce n’était pas alors une petite affaire que de tirer des étalons d’Angleterre ou d’Espagne : ces cas de contrebande étaient réputés crimes de lèse-majesté, et la potence attendait les coupables ; mais ce ne fut point par là que manqua l’entreprise. Les vues économiques de Colbert étaient fort en avant des procédés d’acclimatation de ses contemporains ; ses bêtes à laine ne se conservèrent pas, et l’on conclut des tentatives infructueuses qui furent faites après lui, pendant près d’un siècle, que le sol et le climat de la France se refusaient à la propagation des mérinos. Enfin