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et il est, par sa direction aussi bien que par l’importance des ramifications qui s’y rattacheraient, destiné à devenir le centre et l’artère principale du mouvement de la cité. On le délaisse pour une rue parallèle, rejetée beaucoup plus loin, à laquelle on donne pour point de mire la grosse maçonnerie carrée de l’entrée de l’hôtel de ville. Un Athénien en aurait mis l’axe en face de la sublime tour couronnée de Saint-Ouen. En s’inspirant de la pensée de M. de Crosne et procédant avec mesure, on aurait relié sans grands frais les uns aux autres, par des lignes rattachées aux quais, les foyers naturels de la circulation : c’était le moyen de faire pour l’embellissement de la ville autant que les auteurs des monumens qu’on eût mis en relief.

Qu’on ne croie pas que, même pour les masses d’ouvriers des communes suburbaines dont les mains tissent les toiles qui convergent vers la halle de Rouen, la splendeur de leur métropole soit chose indifférente. Ce pays est un pays d’artistes : c’est celui de Marcdargent, du Poussin, de Jouvenet, de Boïeldieu, de Géricault ; rien de ce qu’on y fera de grand et de beau ne sera perdu pour la foule, et peut-être des hommes faits pour ouvrir des routes nouvelles à nos arts et à notre industrie n’attendent-ils pour sortir de son sein et se révéler à eux-mêmes que la vibration produite par un sentiment de plaisir mêlé d’admiration. Aujourd’hui que notre industrie ne peut avoir de supériorité effective sur celle de nos voisins que par le bon goût, rien de ce qui doit en favoriser l’expansion ne peut être négligé. Ces vœux ne sont point ceux d’ennemis de l’embellissement des villes. Toutefois dans les pays d’industrie les besoins immédiats des populations ouvrières sont les premiers à satisfaire, et ce qui fortifie leur santé, ajoute à leur capacité de travail, doit passer avant les jouissances d’un luxe de bon goût. Sous ce point de vue, le peuple de Rouen n’obtient point de ses mandataires les égards qui lui sont légitimement dus. « La halle, a dit Napoléon, est le Louvre du peuple ; » il la voulait spacieuse, salubre, éclairée, et l’amélioration des marchés de Paris a été l’un de ses premiers soins. Ces paroles et ces exemples n’ont point eu de retentissement à Rouen. Les archéologues y retrouvent encore les antiques parapluies de toile cirée sous lesquels s’abritaient les dames de la halle de Vadé, ainsi que l’humidité fangeuse du vieux charnier des Innocens : il ne manque à l’harmonie des lieux que le langage du Catéchisme poissard.

Il est fort louable, quand une ville a des fonds disponibles, de les employer à l’ouverture de nouvelles rues ; il le serait davantage de pourvoir d’abord à la viabilité des anciennes qu’elle conserve. Hors des traversées de routes dont l’entretien est à la charge des ponts