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de la patrie et de la justice n’obtiennent pas une autre consécration du plus navrant souvenir de notre histoire.

« Au mois d’octobre 1449, le roy estoit à Pont-de-l’Arche et son ost près de lui : il envoya sommer ceux de Rouen qu’ils lui rendissent la ville ; mais les Anglois qui dedans estoient ne voulurent souffrir que les héraults parlassent au peuple, les menacèrent très fort à faire mourir et les renvoyèrent à grand’hâte. Quand le roy sut ces nouvelles, il envoya devant ladite cité grant puissance et multitude de gens de guerre dont estoit conducteur le comte de Dunois. » Après une série de combats dans lesquels Anglais et Français firent très bien leur devoir, après un assaut repoussé, mais qui montra clairement les dispositions des habitans contre la garnison, la pression de la population de la ville sur les Anglais devint plus énergique, et le duc de Sommerset, se voyant entre deux ennemis, parla d’arrangemens et entra en rapport avec Dunois. Déjà les soumissions des plus considérables de la ville, l’archevêque en tête, arrivaient à Pont-de-l’Arche, et « les Anglois estoient très desplaisans, courrouchiez et marriz, connoissant à cette heure les grands désirs et volontés que le commun avoit au roy, » Ils jugèrent prudent d’abandonner l’intérieur de la ville pour mieux garder le château, les portes et les remparts. Bientôt cependant ils durent abandonner ces dernières positions devant lesquelles Dunois était venu mettre le siège, et le duc de Sommerset, après avoir résisté, puis parlementé, se retira. « Le roy, accompagné du roy de Sicile et des autres seigneurs, fit la feste de la Toussaint en grant joie et liesse au lieu de Sainte-Catherine. Et le dixième jour du mois de novembre, qui fut un lundi, se partit de la pour entrer en sa cité de Rouen accompagné des susdits seigneurs qui estoient en grants, riches et divers habillemens, les uns couverts eux et leurs chevaux de draps d’or et de velours, les autres de brodeures et d’orfèvrerie et de draps de Damas et de satin en maintes guises et manières, entre lesquels estoient après le roy en plus riches habillemens les comtes de Saint-Pol et de Nevers. » Le premier de ces deux brillans seigneurs eut plus tard la tête tranchée par ordre de Louis XI, qui, alors dauphin, l’honorait de sa faveur particulière.

Peut-être y a-t-il un peu d’enfantillage dans le soin minutieux avec lequel le chroniqueur se complaît, après le récit de ces grands événemens, à décrire dans leurs moindres détails les costumes du roi et de ses compagnons. Cela intéressait évidemment beaucoup le public de ce temps. Le cortège, il faut en convenir, ne devait pas avoir mauvaise grâce, et l’enthousiasme du peuple devait être grandement excité par la vue de tant de braves chevaliers dont on se racontait les faits d’armes, et peut-être aussi, mais plus discrètement,