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maritime s’anime, et le bruit des marteaux, la fumée des hautes cheminées des usines signalent la présence des travaux de l’industrie entre ceux de la culture et ceux de la navigation. Rouen se découvre enfin dans toute sa majesté avec la forêt de mâts de son port, les arbres touffus de ses royales avenues, avec les flèches élancées de ses édifices, se projetant sur le fond du grandiose et verdoyant paysage dans lequel il est encadré.

III. — Rouen.

César, Strabon ni Pline n’ont fait mention de Rouen : sans doute de leur temps le bassin de la Seine, couvert de forêts, n’avait point encore de navigation intérieure suffisante pour alimenter des établissemens commerciaux permanens ; mais, une fois formés, ces établissemens grandirent rapidement. Lorsque Dioclétien divisa la Gaule lyonnaise d’Auguste en quatre provinces, Rouen fut donné pour capitale à celle du nord-ouest[1], qui comprenait Paris.

Après plusieurs siècles passés sous la domination romaine ou sous le sceptre des rois francs, la Neustrie devint au commencement du IXe siècle le but principal des déprédations des Normands. Ils dévastaient depuis longtemps la Frise, la Flandre, la Bretagne, et avaient obligé Charlemagne à organiser contre eux de puissans moyens de défense, lorsqu’en 804 ils attaquèrent Rouen pour la première fois. Revenant sans cesse à l’embouchure de la Seine, ils finirent par en faire leur quartier-général : ils remontaient par les fleuves dans l’intérieur des terres, et saccagèrent à plusieurs reprises Aix-la-Chapelle, Cologne, Bonn, Trêves, Metz, Bruges, Gand, Anvers, Amiens, Soissons, Troyes, Nantes, Tours, Orléans, Poitiers, Bourges, Limoges, Saintes, Angoulême, Bordeaux, Toulouse ; ils assiégèrent trois fois Paris, et dans ces expéditions lointaines ils laissèrent partout une horrible trace de leurs cruautés.

Ces brigandages séculaires s’expliquent jusqu’à un certain point par les surprises que, maîtres de la mer, d’audacieux pirates pouvaient exercer sur des populations dépourvues de marine, par la terreur qui paralysait leurs victimes, par le morcellement de l’autorité dans les pays attaqués, par l’impossibilité de s’entre-secourir, faute de communications. Il est moins facile de dire comment, à partir de 912, les deux presqu’îles Scandinaves, qui avaient alimenté jusque-là de si nombreuses émigrations, cessèrent tout à coup de déverser leur trop-plein sur le monde, et quels changemens opérés

  1. Ce territoire correspondait à peu près à celui des sept départemens de la Seine, de Seine-et-Oise, de l’Eure, de la Seine-Inférieure, de l’Orne, du Calvados et de la Manche.