Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/797

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’efforçait de racheter par l’aumône le scandale de ses faiblesses, et la reine Marie d’Anjou elle-même, qui sans doute était en droit de la haïr, ne put s’empêcher de l’aimer.

Agnès rendit l’âme à cinq lieues de la place où s’était allumé le bûcher de Jeanne d’Arc. On a souvent opposé l’une à l’autre ces deux femmes de destinées si différentes : elles ne s’étaient jamais vues. Je ne veux point rappeler ici l’infamie commise par Voltaire ; mais M. Casimir Delavigne, qui devait savoir l’histoire de sa province, n’a pas craint d’immoler au besoin qu’il avait d’une antithèse le plus beau côté du caractère d’Agnès. À l’entendre, ce fut à sa passion pour elle que Charles VII sacrifia

La vierge qui mourait pour lui.


Or Jeanne d’Arc monta le 30 mai 1431 sur le bûcher de Rouen, et le roi vit Agnès pour la première fois au mois de décembre suivant, à Vienne en Dauphiné, où elle accompagnait comme demoiselle d’honneur Isabeau de Lorraine, épouse de René d’Anjou. Il n’y avait plus alors à sauver Jeanne, il ne restait qu’à la venger.

L’abbaye de Jumiéges est tombée sous le marteau des révolutions, mais à la manière de ces temples antiques dont l’écroulement jonche le sol de débris généreux et lègue une carrière de matériaux aux générations qui ne les ont pas vus debout. Les travaux des bénédictins de la presqu’île sont partout, et, malgré des pertes incalculables, leurs livres et leurs tableaux sont encore la principale richesse des bibliothèques, des musées et des églises de la Haute-Normandie. Les démolisseurs du temps n’avaient pas le droit de reprocher aux Turcs les boulets qu’ils faisaient avec les marbres du Parthénon. Un ingénieur des ponts et chaussées envoyé à Jumiéges en 1807 trouva l’adjoint au maire bâtissant une loge à son chien avec des fragmens détachés de l’église et la pierre tumulaire sous laquelle avait été déposé le cœur d’Agnès Sorel servait de marchepied à l’entrée du jardin de M. Dorgebled, maître de musique à Rouen. Le rapport est aux archives de la ville. M. de Caumont commença plus tard à mettre de l’ordre dans ces ruines, et on doit de la reconnaissance à M. Lepel-Cointel, propriétaire actuel de ce domaine historique, pour les soins qu’il consacre à la conservation de ce qui en reste.

Quand des crêtes de la forêt de Jumiéges on se voit presque enveloppé dans les bras argentés de la Seine, l’esprit est saisi de la pensée d’épargner par la coupure de l’isthme d’Yainville un pénible circuit à la navigation. Ces 19 kilomètres sont de tout le trajet de Rouen au Havre les plus lents à franchir à la voile, ne fût-ce que