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des semences. On ne s’est pas contenté de trier sur les lieux les grains les plus purs et les plus pesans : on a fait venir des bords de la Méditerranée, de la Mer-Noire, de la Baltique, de la Mer du Nord, les variétés les plus estimées, et des essais qui n’avaient d’autre but qu’une amélioration empirique des récoltes ont conduit à la connaissance d’une influence régulière que paraissent exercer sur la production les températures sous lesquelles sont nées les semences. Les blés du midi jaunissent péniblement sous le pâle soleil de la Normandie ; ceux du nord au contraire gagnent visiblement à passer sous un ciel plus doux. La différence de latitude entre la Basse-Normandie et la Picardie suffit à la manifestation d’effets déjà sensibles, et, dans les expériences sur les propriétés respectives des semences que fait au Val-Richer M. de Witt, les blés d’Ecosse sont ceux qui ont donné les meilleurs résultats. La principale propriété qu’aient mise en relief ces transplantations est la promptitude avec laquelle les grains du nord mûrissent en allant au sud ; on dirait leur maturité rationnée à une dose fixe de calorique qui s’absorbe en moins de temps quand la température s’élève. À ce compte, les semences recueillies sur des montagnes élevées doivent se comporter dans les vallées adjacentes comme celles d’une latitude plus septentrionale, ce qui simplifierait pour beaucoup de provinces les embarras des transplantations lointaines. La précocité des moissons ne fît-elle qu’épargner aux céréales sur pied des chances de grêle et d’autres accidens et qu’allonger le temps disponible pour les secondes récoltes, elle serait une des plus précieuses conquêtes que pût faire l’agriculture du pays. On peut tirer d’un fait qui se produit sur d’autres végétaux en vue des côtes mêmes de Normandie un augure favorable. Les vergers de l’île de Jersey sont peut-être les plus productifs de l’Europe : ils n’empruntent point au midi leur plus riche parure, et les meilleurs fruits qu’on y cultive, notamment le raisin black-Hamburg, qui est aussi celui de la fameuse treille d’Hamptoncourt, sont originaires du nord. Les lois de la nature ne sont point capricieuses, et ce qui est vrai des fruits et des légumes doit l’être aussi des céréales.

Le progrès agricole est très loin d’être au même niveau dans toutes les parties du bassin de la Seine maritime ; mais les bons exemples y sont assez multipliés pour entraîner ce qui reste en arrière. À considérer le pays dans son ensemble, le produit brut de la terre, qui n’était sous l’ancien régime que le double du produit net, en est successivement devenu là le triple, ici le quadruple, et, secondée par quelques circonstances favorables, l’ingénieuse économie des cultivateurs a constitué des capitaux dont la convergence vers une destination uniforme accroît singulièrement la puissance. En