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d’une rivière à marées où la force décroissante du flot apporte encore de grands navires et commence à se prêter à la gaucherie de manœuvre des bateaux de rivière est la place naturelle d’un port de commerce : le nœud entre la navigation maritime et la navigation fluviale s’y forme de soi-même, et telle est la raison d’être originelle des ports de Hambourg sur l’Elbe, de Brème sur le Weser, de Rotterdam sur la Meuse, d’Anvers sur l’Escaut, de Nantes sur la Loire, de Bordeaux sur la Garonne, comme de Rouen sur la Seine. Dès les premières années du XIIe siècle, la démarcation entre les deux navigations a été établie à Rouen par un pont en pierre de treize arches, construit par la reine Mathilde sur l’emplacement du pont suspendu d’aujourd’hui. De nos jours, la ligne de démarcation est remontée au double pont de pierre qui s’appuie sur l’île Lacroix. Quoique l’importance de la navigation d’amont ne soit nullement comparable à celle de la navigation d’aval, l’avantage du renversement alternatif des courans qui desservent une ville de l’ordre de Rouen ne saurait être dédaigné, et cet avantage s’est notablement accru par l’aptitude des bateaux à vapeur venant de la mer à remonter jusqu’à Paris.

Le bassin de la Seine maritime ressemble à un sillon profond et sinueux creusé dans la grande formation crayeuse dont les falaises du pays de Caux montrent la tranche aux navigateurs. Le fleuve reçoit du sud l’Eure, la Risle, la Touques, et du nord l’Andelle et les petites rivières de Cailly et de Sainte-Austreberte. Les arêtes de ce bassin sont élevées de 150 à 200 mètres au-dessus de la mer, et le plateau qu’elles limitent s’abaisse par des pentes insensibles jusqu’auprès de la Seine, dont elles dominent encore le lit d’une centaine de mètres. Ce territoire, de plus d’un million d’hectares, est sillonné d’étroites et profondes vallées ; la couche supérieure est très variée dans son épaisseur et ses élémens : les alluvions argileuses anciennes y prédominent ; les grès, les falhuns, les marnes, s’y offrent de tous côtés pour amendemens, et les éboulemens des talus du plateau ont étalé sur les flancs et dans le fond des vallées des terres d’une fécondité exceptionnelle. Partout où le sol arable n’est point trop argileux, il est aisément pénétré par les pluies, et la puissance d’absorption du calcaire poreux auquel il est superposé constitue une sorte de drainage naturel ; si quelque part l’interposition de couches de glaise arrête cette sécrétion salutaire, on la rétablit en les perçant. Cet appel souterrain, prévenant l’évaporation des eaux à la surface, affranchit le plateau d’une cause de refroidissement nuisible à la végétation, et en assure la parfaite salubrité. La rareté des eaux disponibles est le revers de ces avantages, et devient dans les sécheresses une véritable calamité. Il y