Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terrain comme engrais. Quoi qu’il en soit, le borer fait aujourd’hui aux cannes de Maurice et de Bourbon autant de mal que l’oïdium aux vignes d’Europe, et celui qui trouverait le moyen de le combattre efficacement gagnerait plusieurs millions.

La coupe de la canne commence chaque année en juillet, et dure dans quelques établissemens jusqu’à la fin de décembre. Dès le mois d’avril, les sucreries, alors inactives, sont mises-en réparation. Tous les appareils, les chaudières et les machines à vapeur, sont soigneusement visités ; tout est peint, verni et remis à neuf. On songe aux provisions de bois, si la bagasse de la précédente campagne est reconnue insuffisante. Enfin tout est prêt, et la coupe commence. Les travailleurs, répandus dans les champs, coupent les liges au pied, enlèvent les feuilles avec une serpe, et chargent la canne dans des charrettes traînées par des mules. À peine la charrette pleine gagne-t-elle la sucrerie, qu’une charrette vide lui succède : le mouvement ne s’arrête pas, ni dans la coupe, ni dans le transport. Aujourd’hui ce sont des Indiens qui font tous ces travaux. Les nègres, depuis l’affranchissement, qui date à Maurice de l’année 1835, ont presque complètement disparu des plantations. Au temps de l’esclavage, ils étaient changés de la coupe des cannes, et les campagnes présentaient alors une animation sans exemple. C’étaient pendant tout le temps du travail des chants interminables, des lazzis à perte de vue, de gros éclats de rire, et’ ans les momens de repos des danses échevelées, comme sait seul des exécuter le nègre, ce joyeux enfant de l’Afrique. Parfois passait le commandeur armé de son fouet ; le noir tournait vers lui ses yeux pleins de malice, et, ouvrant sa large bouche semée de deux rangées de dents plus blanches que l’ivoire, il laissait échapper ces paroles, où perçait plus d’une interrogation : « Vous pas content, not’ maît’ ? » Mais le commandeur passait outre et ne daignait pas répondre, ou bien, dans un moment de caprice, il déchirait d’un coup de sa lanière le dos du pauvre travailleur qu’il trouvait trop familier. Les Indiens immigrés font maintenant tout le travail jadis réservé aux esclaves. L’Indien est moins rompu à la fatigue, moins bruyant que le nègre, il est même un peu taciturne, ce qui rend l’époque de la coupe moins animée qu’au temps des noirs.

À mesure que la coupe se poursuit dans les plantations, la roulaison commence dans les usines. Jetée entre d’énormes cylindres de fonte qui la broient et l’entraînent dans leur mouvement de rotation, la canne rend une eau aqueuse et sucrée. Celle-ci tombe dans un bassin de réception, et la partie ligneuse ou bagasse est rejetée. Mise en tas et séchée à l’air, elle forme la provision de combustible pour la prochaine campagne. Le haut prix du bois et du