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REVUE. — CHRONIQUE.

au gouvernement japonais la promptitude d’administration judiciaire qui existe dans les pays civilisés, c’est demander simplement l’impossible, et rendre le gouvernement responsable des actes d’individus isolés, cela est contraire à toutes les lois internationales. — Je crois fermement, ajoutait M. Harris, que si j’observe les précautions recommandées par le gouvernement japonais, ma vie ne court ici aucun danger. Je pense d’un autre côté que vous jugez mal de l’effet que votre retraite à Yokohama produira sur l’esprit du gouvernement. Cette retraite des légations étrangères de Yédo est justement ce que le gouvernement désire ; elle le délivre de beaucoup d’inquiétudes, de responsabilité et de dépenses. Pour ces raisons, je déplore la mesure prise par mes collègues, croyant qu’elle ne produira aucun effet salutaire ; et qu’elle conduira peut-être à une guerre avec le Japon ; J’avais espéré que l’histoire future pourrait parler d’un coin du monde oriental où la civilisation chrétienne aurait été introduite sans être suivie de misère et d’effusion de sang ; mais je vois que je dois renoncer à cet espoir. Et cependant j’aurais mieux aimé voir déchirer tous les traités qui ont été conclus avec le Japon que voir les horreurs de la guerre s’abattre sur les populations pacifiques et heureuses de ce pays. »

Peu de jours après avoir reçu cette lettre, M. Alcock rentra à Yédo. L’empereur, effrayé des conséquences possibles de la sérieuse démonstration des ministres étrangers, les avait fait prier par son grand conseil de venir reprendre possession de leurs anciennes demeures. M. Alcock, dans une notification datée du 1er  mars 1861, exprima alors le ferme espoir de voir naître des relations vraiment amicales entre son gouvernement et celui du Japon. Les consuls-généraux hollandais et français rentrèrent également à Yédo. Tous y furent reçus en grande cérémonie.

Le ministre anglais ne resta cependant que peu de jours dans la capitale. Une affaire judiciaire l’appelant à Hong-kong, il se rendit à ce port vers la fin de mars. En retournant au Japon, il visita d’abord Nagasaki, et revint de là par terre à son poste. Le voyage s’effectua sans accident. Il traversa tout le Japon et arriva à Yédo le 4 juillet 1861, trente-quatre jours après son départ de Nagasaki, surpris et satisfait de l’état de prospérité extraordinaire des contrées qu’il venait de parcourir.

Le lendemain soir, 5 juillet, vers onze heures, la légation anglaise fut attaquée par une bande de quinze à vingt lonines (fils de famille sans place, mauvais sujets, bandits). Ils pénétrèrent dans la résidence du ministre et soutinrent un court, mais sanglant combat contre MM. Oliphant et Morrisson, et contre la garde japonaise casernée à la légation, qui les attaqua dans la grande cour du Jodensi (nom du temple habité par M. Alcock). MM. Morrisson et Oliphant furent tous les deux blessés, le premier légèrement, le second assez gravement. Plusieurs Japonais de la garde de M. Alcock furent tués. Les lonines de leur côté laissèrent cinq morts sur le champ de bataille. M. Morrisson en avait tué deux à coups de revolver. La garde japonaise s’était montrée fort brave. M. Alcock avait échappé à la mort comme par miracle. Les assassins avaient pu entrer dans toutes les chambres qu’ils avaient trouvées sur leur passage. Heureusement celle de M. Alcock, précédée d’un long couloir, avait échappé aux recherches des lonines. Au moment où la légation fut attaquée, il s’y trouvait six Européens : M. Alcock,