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crise ? Rossi résumait l’histoire de ces quelques mois en peu de mots. « Deux partis, disait-il, s’offraient au pape : l’intervention pacifique et la guerre. Grands et glorieux partis, simples et clairs l’un et l’autre ! le premier, qui était plus d’un pape, le second plus d’un roi italien. De ces deux partis, qui, pour être efficaces, devaient être adoptés franchement, sans tergiversation, et appuyés de la menace de recourir au second si le premier était infructueux, ni l’un ni l’autre ne fut résolument choisi. La guerre déplaisait : elle ne fut ni déclarée ni empêchée. Le pays fit un peu de guerre, le pape fit la paix. L’intervention, vous la connaissez : une lettre, une exhortation tardive, insuffisante, peut-être même inopportune. » Rossi peignait d’un trait plus vif et plus coloré la situation du pape un jour où on le consultait sur ce qu’il y aurait à faire, sur la participation des États-Romains à la guerre. « Le mouvement national ressemble à une épée : ou Pie IX prendra résolument cette épée dans sa main, ou la révolution s’en emparera pour la tourner contre lui. » Le pape ne prit pas cette épée, il fit l’encyclique du 29 avril pour la désavouer bientôt en apparence en subissant un ministère démocratique, et la papauté se trouva un peu plus compromise vis-à-vis de l’Italie, flottante au milieu d’un mouvement national qu’on lui faisait un crime de trahir, engagée dans un travail de réorganisation constitutionnelle qui restait en suspens, qu’on l’accusait de ne pas vouloir sincèrement.

C’est alors, après six mois de doutes et d’incertitudes, que Rossi devenait comme une ressource suprême pour la papauté en détresse. Jusque-là, il avait écrit, conseillé, inspiré ; il n’avait point été appelé à un rôle actif. Il avait été nommé député sur plusieurs points de la péninsule, notamment à Carrare, sa ville natale, qui l’envoyait au parlement toscan ; il n’avait point accepté. C’était un Italien qui hésitait sur le choix d’une patrie plus locale et qui restait en quelque sorte à la disposition des événemens, lorsque le pape levait tous ses doutes en lui demandant de prendre le ministère à Rome. Rossi peignait lui-même sa situation d’esprit dans une lettre qu’il écrivait à un de ses amis à la veille de cette entrée au pouvoir : « Il faut un corps de fer, disait-il, pour ne pas tomber malade dans ce malheureux temps, et je comprends que l’ami Giordani ait pris le chemin de l’autre monde. Je ne le plains pas, lui, mais nous… J’étais résolu et je le suis encore à rester dans ma patrie. Les malheurs de l’Italie ne me font pas changer d’avis, ils me confirment au contraire dans mon dessein ; mais je ne suis pas moins résolu à ne point redevenir un sujet modenais et à ne point vouloir habiter une terre soumise aux baïonnettes autrichiennes. J’ai quitté pour cela l’Italie il y a trente ans ; j’ai accepté le sort du