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un mouvement d’indépendance, que la liberté elle-même conduisait à une revendication de nationalité. « Sans doute, disait-il, les réformes contribueront à développer le sentiment d’indépendance. Qu’y faire ? A moins qu’on ne prétende exterminer l’Italie et en faire une terre d’ilotes, il faut bien se résigner à ce qu’un avenir plus ou moins lointain recèle. » A mesure que les événemens se développaient, Rossi comprenait et sentait plus vivement la puissance d’un réveil national et libéral qui remuait en lui une vieille fibre. Sans doute il était modéré, et il voulait la paix, parce qu’il croyait que la paix et la modération étaient les plus sûrs auxiliaires de l’Italie ; au fond, dans le secret de sa pensée, le but était marqué : c’était l’indépendance nationale, et c’est là que le patriote perçait sous l’ambassadeur, si bien que, lorsque la révolution de février éclatait en France, imprimant à l’Europe et à la péninsule une commotion électrique, mettant le feu à tant d’élémens inflammables, Rossi n’avait vraiment rien à faire pour redevenir, pour rester Italien. La révolution de 1848, en le dépouillant de son titre, en le dégageant de tous ses liens avec la France, le rendait à une patrie dont il était occupé depuis deux ans à compter les mystérieuses et vibrantes pulsations.

Ce fut peut-être un coup de foudre sans être une surprise pour Rossi. Ce mouvement qu’il avait vu naître en Italie, dont il avait signalé les progrès jour par jour, qu’il eût voulu sans doute plus mesuré et plus lent, mais qui avait été déjà prodigieusement précipité « par l’aveugle obstination du roi de Naples, par la mollesse du gouvernement toscan, par les lenteurs et les tergiversations de Rome, » ce mouvement éclatait maintenant dans une crise de transition, dans un moment où rien n’était encore organisé au-delà des Alpes, et sous le coup d’une révolution qui, en le favorisant, pouvait aussi l’altérer profondément. En peu de jours, l’insurrection, victorieuse à Milan et à Venise, rejetait l’Autriche dans un camp sur l’Adige. Le Piémont, entraîné et conduit par Charles-Albert, portait en Lombardie le drapeau de l’indépendance. La Toscane ne pouvait refuser ses soldats, l’Italie entière envoyait ses volontaires, et le roi de Naples lui-même était réduit à céder à une passion irrésistible. Ce qu’il y avait de prématuré et de périlleux dans cette explosion italienne qui suivait de si près la révolution, de février ne pouvait échapper à l’esprit de Rossi ; mais l’occasion était unique, plus inattendue et plus belle qu’on ne pouvait la désirer : l’ardeur d’une nationalité renaissante suppléait à la force, à l’organisation militaire, et le vieux patriote se retrouvait tout entier en présence de cette émouvante résurrection d’un peuple. Fixé à Rome, où il n’était plus rien qu’un Italien partageant les émotions, les espérances,