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« Cette profonde transformation peut s’opérer de deux manières, soit en appliquant nos formes au gouvernement de l’état par l’église, soit en détachant de l’église le gouvernement purement, strictement temporel, et en le sécularisant. Un certain nombre de laïques pourraient être associés aux ecclésiastiques dans le premier cas, comme des ecclésiastiques pourraient l’être dans le second. Cette association modifierait le principe sans l’annuler. Dans le premier cas, ce serait toujours l’église qui gouvernerait et administrerait l’état ; dans le second, l’administration temporelle serait laïque, et l’église ne se retrouverait jure proprio qu’au sommet, dans la personne du souverain ; l’église serait le roi, mais elle ne serait que le roi. L’empereur Napoléon était roi d’Italie ; sans doute il n’oubliait jamais, même en sanctionnant les lois italiennes, qu’il était avant tout empereur des Français ; sans doute il pouvait consulter ses conseillers de France : toujours est-il que le gouvernement et l’administration du royaume étaient réservés presque exclusivement aux Italiens.

« C’est dans la voie du premier système qu’avaient marché les réformes de Pie IX jusqu’aux derniers événemens de Naples, du Piémont, de la Toscane. Faut-il persévérer dans la même voie aujourd’hui qu’un gouvernement de publicité et de discussion est devenu d’un commun aveu nécessaire ? Au premier aperçu, on peut croire que des ecclésiastiques n’hésiteront pas à se décider pour l’affirmative. Il y a longtemps que j’entends parler par des gens d’église, par des théologiens, du collège des cardinaux se constituant en chambre haute. C’est là le couronnement du système. On pourrait s’arrêter à cette donnée pour l’apprécier et la juger ;… mais j’ose à peine continuer… Peut-on se représenter sans terreur l’église descendant dans l’arène politique et s’y livrant à tout le feu de la bataille, aux attaques, aux violences, aux intrigues, aux passions de parti, se divisant en majorité et opposition, travaillant à renverser le cabinet pontifical, à le remplacer malgré le pape ?… l’église mise tous les matins sur la sellette par les journaux pour son administration temporelle, livrée aux ridicules, aux outrages ? Et ce même corps devrait en même temps représenter ce qu’il y a de plus vénérable et de plus sacré aux yeux de deux cent millions de catholiques ! Et, couvert de la poussière, quelquefois de la boue de l’arène politique et mondaine, il espérerait que ses décisions théologiques seraient reçues par le monde catholique, par tous les épiscopats le front par terre !…

« Ces considérations prennent à mes yeux une force extrême, appliquées au sacré collège. Le collège des électeurs et des éligibles à la papauté, les administrateurs de l’état pendant le règne, les souverains dans les interrègnes transformés en chambre politique,… grand Dieu ! Et s’il arrive un choc entre les deux chambres et que les collèges électoraux s’obstinent, que fera le roi de Rome ? Nommera-t-il tout à coup vingt cardinaux pour changer une majorité ? vingt électeurs du pape ! vingt éligibles à la papauté ! Cette chambre tout ecclésiastique aux prises avec une chambre populaire laïque, au lieu de le faire cesser, ne ferait que rendre plus violent l’antagonisme des deux castes. Le pape meurt ; le conclave se forme. C’est l’assemblée politique qui endosse un autre costume et va donner un pape à la chrétienté. Que répondra-t-elle au monde catholique qui lui crierait : « C’est un roi de