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«… C’est là, à mon avis, ce qui était dès l’abord nécessaire et suffisant. Ce qui a manqué, c’est la résolution, l’énergie, peut-être aussi les lumières et l’expérience des affaires…

« Notre rôle à nous était délicat… Intervenir directement, impérativement, nous ne le pouvions pas, et, ce me semble, nous ne le devions pas… Nous n’avons cependant manqué à rien de ce que nous imposaient une amitié et un intérêt sincères. Une fois, dix fois, vingt fois, l’ambassadeur du roi, et avec le secrétaire d’état, et avec les autres membres du cabinet, et avec toutes les personnes influentes, et avec le saint-père lui-même, tout en y mettant la mesure et les ménagemens que la situation nous commandait, l’ambassadeur du roi a insisté sur la nécessité d’organiser fortement un gouvernement réel, de faire promptement les concessions que le saint-père voulait faire, sur les dangers du retard, sur les périls de la situation… Qu’avons-nous obtenu ? — On a, je crois, nettement accompli la première partie de mon programme. Les suggestions du parti national ont été repoussées, et je crois qu’on lui a fait suffisamment sentir la vérité sur la situation et son avenir ; mais dans le gouvernement du pays, pour l’apaisement du parti réformateur, tout a été tâtonnement et lenteur. On a nommé force commissions, tout touché, tout ébranlé, sans rien fonder. Comme je le disais au pape : « Le gouvernement pontifical a perdu l’autorité traditionnelle d’un vieux gouvernement sans acquérir la vigueur d’un gouvernement nouveau. » C’était pour moi comme pour tous les amis du saint-siège le supplice de Tantale, d’autant plus cruel que rien ne me paraissait plus facile que l’accomplissement de l’œuvre désirée. On a gaspillé une situation unique. Jamais prince ne s’est trouvé plus maître de toutes choses que Pie IX dans les huit premiers mois de son pontificat. Tout ce qu’il aurait fait aurait été accueilli avec enthousiasme. C’est pour cela que je disais : Fixez donc les limites que vous voulez ; mais, au nom de Dieu, fixez-les et exécutez sans retard votre pensée… »


Tout s’enchaîne ici. C’est là en réalité le point de départ d’une situation irréparablement perdue dans son germe, et on n’aurait, ce me semble, qu’à presser cet exposé pour voir, à ces traits de lumière, se dérouler tout un ordre de choses, l’Italie mise en mouvement par l’exaltation d’un pontife, le sentiment national grandissant d’abord avec Pie IX, puis sans lui et contre lui, un travail de réformes mal conduit, mal dirigé, allant glisser de faiblesse en faiblesse dans une révolution pour revenir à une immobilité désormais impossible, la papauté en un mot compromise par ce qui aurait dû la sauver. Tout était tâtonnement, disait Rossi ; chaque jour l’œuvre était à recommencer. Les secrétaires d’état se succédaient, Ferretti après Gizzi. Les édits, les motu proprio se multipliaient confus, tardifs et impuissans. Ce qu’on faisait attendre par inertie, on l’accordait sous la pression d’une manifestation populaire : tantôt un conseil des ministres ou la consulte, tantôt la réforme des codes ou la garde civique, et chaque nouveau pas dans cette voie aggravait