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leur manque, et ce sera l’entreprise la plus difficile que j’aie tentée jusqu’ici. J’ouvrirai des routes et des canaux, je multiplierai les communications ; de nouveaux et vastes débouchés s’ouvriront aux industries renaissantes, tandis que l’agriculture montrera la prodigieuse fécondité du sol italien. Je donnerai à l’Italie des lois faites pour les Italiens… Naples, Venise, La Spezzia deviendront d’immenses chantiers de construction navale, et dans peu d’années l’Italie aura une marine imposante. Je ferai de Rome un port de mer. Dans vingt ans, l’Italie aura une population de trente millions d’habitans, et sera la plus puissante nation de l’Europe. Plus de guerre, plus de conquête ; j’aurai néanmoins une armée brave et nombreuse sur le drapeau de laquelle je ferai écrire le mot : Malheur à qui le touche ! et personne n’osera. Après avoir été César en France, je serai Camille à Rome ; l’étranger cessera de fouler de son pied le Capitole et n’y retournera plus. Sous mon règne, la majesté antique du peuple-roi s’unira à la civilisation de mon premier empire, et Rome égalera Paris en conservant intacte la grandeur de ses souvenirs… » Ainsi parlait Napoléon vers le mois d’octobre 1814 aux Italiens qui le pressaient de descendre sur les côtes de la péninsule en lui promettant peut-être ce qu’ils n’auraient pu tenir, un soulèvement universel. Ce n’est pas Napoléon pourtant qui tentait cette entreprise plus que douteuse de refaire en ce moment de l’Italie une nation.

Ce rôle échut à un autre soldat couronné, tête faible et vaine, à Murat, qui, plein de perplexités, branlant déjà sur son trône, infidèle à l’Autriche, avec laquelle il s’était allié, après avoir été infidèle à Napoléon, allait se jeter dans la mêlée pour se faire roi d’Italie, lorsqu’il n’était plus bien sûr de rester roi de Naples. De là cette curieuse entreprise des premiers mois de 1815, qui coïncidait avec le retour foudroyant de l’empereur en France, et qui commençait un peu, à vrai dire, comme on a vu plus récemment commencer l’invasion de l’Ombrie et des Marches par le Piémont. Murat faisait une querelle au pape Pie VII, à peine restauré, parce qu’il recevait des déserteurs, des fugitifs, parce que les états pontificaux étaient un foyer d’hostilité, et faute de la satisfaction qu’il demandait, il s’avançait à la tête d’une armée de quarante mille hommes, appelant tous les Italiens aux armes, levant brusquement le drapeau de l’indépendance nationale, de l’unité de l’Italie. Le pape avait à peine le temps de fuir, craignant d’être pris et conduit à Gaëte, et le grand-duc de Toscane s’enfuyait aussi à l’approche de Murat, qui en peu de jours se trouvait, sans combat, maître des Marches, de l’Ombrie, de la Romagne, annexant au nouveau royaume toutes ces provinces, qu’il occupait jusqu’à Bologne. Là commençait la difficulté en face