Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/720

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

imposent la maturité de son talent, la popularité de son nom. M. Octave Feuillet, malgré ses succès de théâtre, ne peut manquer de revenir au genre où il excelle, où se développent le plus à l’aise ses rares facultés d’analyse, les exquises délicatesses de sa plume, et où il n’a pas à redouter des rivaux mieux doués peut-être du tempérament dramatique, mieux acclimatés à cette atmosphère, trop échauffante pour être salubre. En somme, il y aurait injustice à mesurer le champ tout entier d’après la moisson de cette année. D’ailleurs ne conviendrait-il pas de tenir un certain compte de ce genre de récits qui pourrait s’intituler le roman en province, tel que le pratique M. Eugène Ducom entre autres, et qui, sans grande prétention romanesque, met en scène dans un cadre restreint et à l’aide d’une fiction légère les mœurs, les épisodes, les caractères, les détails de couleur locale, les physionomies particulières à quelques pays encore préservés de l’assimilation générale ? Enfin omettrons-nous, parmi les ressources actives du roman, ces heureux emprunts qu’il fait aux littératures étrangères, ces œuvres originales qu’une main habile débarrasse de leurs longueurs, assouplit par des analyses aussi vivantes que l’invention même, et sait rendre françaises sans leur rien ôter de leur saveur et de leur sève primitives ? Est-il besoin d’insister sur les avantages de ce procédé dont la Revue a donné plus d’un exemple ? Il rapproche le génie des différentes nations, infiltre un sang nouveau dans les littératures vieillies ou appauvries, et répond admirablement aux instincts du moderne esprit français, enclin à se dédommager de ce qu’il perd au dedans en exerçant au dehors ses facultés d’attraction et de conquête.

On le voit, ces élémens ont leur valeur et leur place dans une étude telle que celle-ci. Il en est un plus important encore, et que nos lecteurs au besoin nous rappelleraient. Difficile toujours, notre conclusion serait impossible et dérisoire, si, en parcourant les diverses expressions de l’esprit romanesque en 1861, nous avions l’air d’omettre volontairement le nom, le génie qui les a dominées toutes, George Sand et ses plus récens ouvrages. Par leur nombre comme par leur éclat, ces ouvrages auraient dépassé notre cadre, et ils seront bientôt, nous l’espérons, l’objet d’une étude spéciale. Mme Sand ne brillera donc dans ces pages que par son absence, et c’est à elle pourtant que nous demanderons cette conclusion qui nous manque. À travers la marche des siècles, les transformations des sociétés, les vicissitudes du goût, les lois immortelles subsistent ; l’art vraiment digne de son nom se soumet à ces conditions sans lesquelles il ne saurait vivre, et après chaque excursion dans la littérature contemporaine il sied de les proclamer encore et d’y ramener ceux qui s’en écartent. Dans Jean de La Roche, dans le Marquis de Villemer, dans