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des langues, on pourrait, à propos de Sylvie, donner un frère au réalisme et signaler l’avènement du bestialisme dans le roman : les chiens, les singes et les perroquets jouent un grand rôle dans le récit de M. Ernest Feydeau, et s’y montrent plus spirituels et plus amusans que les hommes. Aussi bien cette prépondérance des bêtes serait un moyen de trancher le débat et de proclamer le triomphe définitif du genre animal en littérature. Sérieusement, ce qui ressort de l’œuvre de M. Feydeau, c’est l’extrême pauvreté du genre, c’est le crescendo de bizarreries qu’il est contraint d’étaler pour soutenir sa gageure et réveiller la curiosité déjà somnolente, c’est surtout ce fond bourgeois que nous avons signalé chez nos plus prétentieux fantaisistes, et qui persiste en dépit des excentricités de costume. Anselme et Sylvie sont deux bourgeois de vocation et de naissance, qui jouent au paradoxe et s’en affublent, comme on prend, pour attirer les regards dans un bal déguisé, le costume le plus extraordinaire que l’on puisse imaginer. Ils ne sont pas plus originaux, pas plus romanesques qu’un Persan ou un Turc de mardi gras n’est Turc ou Persan. Le bal fini, la farce jouée, ils retombent dans leur vulgarité native. Le roman, qui de progrès en progrès est arrivé à nous les servir comme sa dernière friandise, pourrait bien faire comme eux tôt ou tard, et tous alors, bêtes et gens, auteur et public, reprendraient la place qui leur est assignée par la nature.

Nous ne prétendons avoir donné ni le dénombrement exact, ni la classification complète du roman contemporain ; il nous a suffi de suivre l’esprit romanesque sur les principaux degrés de l’échelle qu’il parcourt, de chercher à prouver comment, en montant trop haut ou en descendant trop bas, il méconnaît ses destinées véritables, comment, en se renfermant dans un petit monde à part pour y railler ou y abaisser ses modèles, il se condamne à la négation, et au néant. Maintenant que pouvons-nous conclure ? Y a-t-il prospérité ou décadence ? Devons-nous nous féliciter ou nous plaindre ? Pour que nos conclusions fussent plus faciles, il faudrait que nos données fussent plus complètes. Comment s’étonner si, dans le court espace d’une année, le roman n’a pu déployer toutes ses forces, si ceux-là surtout manquent à l’appel qui travaillent avec lenteur, produisent peu, se contentent difficilement, possèdent en un mot les qualités les plus contraires aux défauts si souvent et si justement reprochés à la littérature moderne ? Personne assurément ne sera tenté d’accuser M. Jules Sandeau d’avoir rabaissé l’esprit romanesque de son temps. Quoi de plus vrai, de plus naturel, de plus humain, que la Maison de Penarvan ? L’auteur de cette œuvre charmante ne restera pas, nous l’espérons bien, inférieur à ce que lui