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et moins légère ; il n’a pas ces attendrissemens sincères, ces larmes mal contenues sous des sourires, qui vont au cœur et détendent l’esprit au milieu des scènes les plus réelles ; mais quelques-unes de ses pages accusent une vocation de romancier et d’écrivain, encore embarrassée, il faut le dire, d’étranges scories. Cette vocation pouvait se démêler déjà, malgré bien des traces d’inexpérience, dans les Victimes d’amour ; elle s’accentue mieux dans les Amours de Jacques, qui ont pourtant le défaut de replacer encore une fois sous nos yeux des mœurs et des personnages qui sont désormais les inévitables de ce genre de roman. Ses ressources sont si bornées, que nous pourrions lui dire d’avance dès le premier couplet toute la chanson qu’il va nous chanter. D’ailleurs, comment nous intéresser à des passions i à des mœurs en contradiction permanente avec nos idées et nos sentimens de chaque jour, que dis-je ? avec les notions les plus élémentaires de la conscience et du cœur ? Dans le roman de M. Hector Malot, Jacques est un jeune homme passionné et convaincu, Arthur une sorte de dandy et de roué. Or la rouerie d’Arthur consiste à épouser Caroline, la maîtresse avouée de Jacques ! N’insistons pas ; rendons justice à quelques parties bien étudiées du caractère et de l’amour de Jacques, et engageons M. Hector Malot à sortir bien vite de cette atmosphère où tous les romans et tous leurs personnages se ressemblent, comme tous les habitans d’un pays fiévreux ont le même teint et le même regard.

Puisque nous voilà avec des disciples, — minores ; — nous n’avons plus le droit de dédaigner L’Histoire d’un premier amour par M. Aurélien Scholl : ce n’est qu’une esquisse ; mais le dessin en est parfois juste et fin ; l’auteur a surtout bien saisi le personnage de la provinciale romanesque, se croyant poétique parce qu’elle s’ennuie, toujours prête à mettre un roman dans sa vie, et, une fois qu’elle le tient, le façonnant d’après les modèles que lui ont fournis ses lectures, se couronnant de sa faute, caressant un rêve de suicide pour mieux remplir son programme, et finissant d’ordinaire par un grotesque mélange de vulgarités et de récidives. Cette peinture fait honneur au jeune écrivain, et prouve qu’il pourrait prétendre à de sérieux succès ; mais, s’il veut les obtenir, qu’il se hâte de laisser là cette petite littérature, qui est à la véritable ce qu’une parade en plein vent est à la Comédie-Française !

Serions-nous enfin arrivé à la note la plus basse de notre gamme romanesque ? Reste Sylvie, de M. Feydeau, que nous ne saurions passer tout à fait sous silence, quoiqu’une plume chère à nos lecteurs ait déjà fixé la valeur de l’œuvre et la signification du succès. Si la création de nouveaux mots ne dénonçait pas l’appauvrissement