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Rabelais, il lui sera répondu comme à nous que ce lieu fut un rendez-vous de chasse aux beaux temps de la colonie. C’était là que se rassemblaient les coureurs de cerfs. Le lieu était froid comme aujourd’hui ; on allumait du feu, on causait en rond, on curait sa pipe avant de la bourrer, car tout bon chasseur est fumeur : de là le nom de Curepipe laissé au lieu du rendez-vous.

De ce point, la route commence à descendre vers Mahébourg, Les plantations de cannes s’étendent bientôt à perte de vue, les sucreries se rapprochent et se touchent. Gros-Bois, Richebois, Beaufonds, Montrésor, désignent autant d’habitations et d’usines différentes. C’est à peine si un nom anglais, comme New Grove, vient témoigner que l’île n’est plus au pouvoir de la France. On peut venir frapper sans crainte à l’une de ces demeures ; on y rencontre un bon accueil, on y est reçu avec cette amabilité mêlée de sans-façon dont les créoles des colonies françaises ont gardé le secret.

Le village des plaines Magnien, que l’on rencontre avant d’arriver à Mahébourg, est comme un faubourg de ce port, car bientôt on arrive dans la ville, dont on traverse la rue principale, toujours très animée. La route mène à un beau pont en charpente jeté sur la rivière de la Chaux, dont les eaux calmes et limpides viennent terminer à la mer un cours qu’elles ne semblent pas avoir la force d’achever. Du haut du pont, le spectacle est des plus agréables. À l’aval, des bateaux amarrés aux quais ou prêts à prendre la mer rappellent un port de commerce, tandis qu’à l’amont la nappe élargie du fleuve, où se baignent des arbres touffus, ferait croire à un lac paisible. Les montagnes qui de ce côté bornent la vue complètent le charme du paysage. Mahébourg est destiné à un avenir brillant quand le port en sera complètement creusé et abritera, outre de grands navires de commerce comme à Port-Louis, la division navale du cap de Bonne-Espérance. Une partie des troupes de la colonie est logée dans de vastes casernes autour de la ville. Des bords du rivage, on jouit d’un beaucoup d’œil sur la rade, et pour peu que vous ayez un cicérone instruit, vous assisterez, comme autrefois les Mauriciens spectateurs de la mêlée, aux diverses péripéties du combat naval du Grand-Port. Un des vaisseaux anglais, coulé par la division française, gît encore échoué sous l’eau, et des pêcheurs prétendent que par un temps calme on peut l’apercevoir distinctement. À gauche du point où l’on est placé se dressent les ruines du vieux Grand-Port, au loin se montrent les champs de cannes qui viennent mourir au rivage, et au pied de la montagne du Camizard apparaît le beau domaine de Ferney, qui eût été digne de recevoir Voltaire.

L’excursion de Mahébourg n’est pas la seule intéressante que présente l’île Maurice, où les belles routes ne manquent pas en attendant