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C’est demain le 1er avril. Se peut-il que je meure demain ? Ce ne serait pas même convenable. Du reste, cela me va…

Comme le médecin m’a tracassé aujourd’hui !…


1er avril.

C’est fini,… ma vie est éteinte. Je mourrai certainement aujourd’hui. Il fait chaud dehors, il fait presque étouffant,… ou bien sont-ce mes poumons qui ne respirent déjà plus ? J’ai joué ma petite comédie jusqu’au bout. Le rideau tombe.

Je cesse d’être de trop en rentrant dans le néant. Ah ! comme ce soleil est intense ! Ces rayons puissans respirent l’éternité…

Adieu, Térence !… Elle était assise à sa fenêtre ce matin et pleurait… Peut-être était-ce à cause de moi, peut-être était-ce parce que son tour de mourir doit arriver bientôt. Je lui ai fait promettre de ne pas maltraiter Trésor. Il m’est pénible d’écrire… Je jettera plume… Il est temps ! La mort ne m’arrive déjà plus avec ce bruit toujours croissant du tonnerre qui rappelle le roulement nocturne d’une voiture sur le pavé : elle est ici, elle voltige autour de moi, pareille à ce souffle léger qui soulevait les cheveux du prophète… Je me meurs… Vivez, vous autres !…

Et puisse la vie forte et jeune
Se jouer à l’entrée de mon tombeau,
Et la nature indifférente
Briller d’une éternelle beauté[1] !


Nous avons trouvé sous ces dernières lignes l’esquisse d’une tête avec un grand toupet, des moustaches, des yeux fixes et des cils en rayons, et sous cette esquisse les mots monsieur et votre très humble serviteur répétés plusieurs fois. L’écriture de ces mots ne ressemble en rien à celle du manuscrit. Cette découverte nous donne le droit de supposer que le dessin et les mots ont été ajoutés après coup et par une main étrangère, d’autant plus que nous avons tout lieu de supposer que M. Tchoulkatourine est décédé en effet, pendant la nuit du 1er au 2 avril, dans sa propriété héréditaire d’O…


IVAN TOURGUENEF.

  1. Vers de Pouchkine.