Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Inde des plants d’arbres à épices, pour en doter l’Ile-de-France et l’île Bourbon comme d’une source assurée de fortune.

Depuis la rétrocession faite au roi de France, l’histoire de Maurice se déroule entre l’abandon colonial qui marqua la fin honteuse du règne de Louis XV et la renaissance de notre puissance maritime qui signala le règne de Louis XVI, lorsque les d’Entrecasteaux et les Suffren apparurent dans les mers de l’Inde ; mais bientôt éclatèrent les troubles qui accompagnèrent en France et dans les colonies l’établissement de la république. Un gouvernement régulier fut enfin rendu à l’Ile-de-France, et le capitaine-général Decaen arriva, nommé par Napoléon. De hardis corsaires sortis de Maurice parcoururent alors les mers, et firent subir aux vaisseaux de l’Angleterre des pertes presque irréparables. La revanche fut terrible, et l’année 1810 marque une date fatale, celle de la capitulation de l’île aux Anglais. Depuis cette époque, elle n’a plus cessé, reprenant son ancien nom d’île Maurice, d’être au pouvoir de la Grande-Bretagne.

Un peu moins étendue que La Réunion, dont elle est séparée par une distance d’environ 100 cilles marins, l’île Maurice n’a pas plus de douze ou treize lieues dans sa plus grande largeur, et dix-sept ou dix-huit dans sa longueur maximum. Sa projection, comme celle de beaucoup d’îles, affecte sensiblement la figure d’un triangle, et son périmètre est d’environ quarante-cinq lieues. Sur cette étendue, plus faible que celle d’un arrondissement en France, se développe une de ces végétations luxuriantes qu’on ne rencontre que sous les tropiques. À la fertilité du sol vient se joindre le charme du paysage, et les sites de l’île Maurice, célébrés par Bernardin de Saint-Pierre, ne sont surpassés que par ceux de l’île Bourbon, île fortunée s’il en fut, et peut-être le plus séduisant pays du monde. En quittant le soir Saint-Denis par le bateau à vapeur qui relie la capitale de Bourbon à celle de Maurice, on laisse derrière soi le phare blanchi de Sainte-Suzanne, les pics dentelés des Trois-Salazes et les plaines verdoyantes du Champ-Borne, dernier adieu que l’île Bourbon jette à ceux qui la quittent, douce bienvenue qu’elle donne à ceux qui viennent la visiter. Ce magnifique spectacle, que les rayons d’un soleil tropical à son coucher ont si bien gravé dans l’esprit du touriste, s’efface peu à peu devant le nouveau paysage qui s’offre le lendemain à ses yeux. C’est d’abord le Morne, se détachant sur la mer comme une sentinelle avancée qui garde la pointe sud-ouest de Maurice, puis le piton de la Rivière-Noire, qui élève à plus de 960 mètres sa cime arrondie, jadis vomie par un volcan, et point culminant de l’île. En même temps apparaissent presque à la fois le Piton-du-Milieu, occupant le centre de Maurice, la montagne de la Terre-Rouge, ainsi nommée à cause de sa couleur, et les Trois-