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Bonsoir, Emilie ; prenez garde de prendre froid, et ne tardez pas à vous coucher.

« Et M. Sewell monta dans sa chambre en laissant la pauvre Emilie douter presque du témoignage de ses yeux. »


Une seconde tentative n’est pas plus heureuse, quoique miss Emilie ait cette fois recours à l’irrésistible argument des larmes. Il en faut prendre son parti, et se résigner à ne point savoir qui peut être ce jeune garçon que la tempête a jeté sur la côte. Mara l’a immédiatement réclamé comme son bien ; elle en a pris possession, et le vieux Pennel, trop heureux de complaire à sa petite-fille, s’est empressé de recueillir et d’adopter le petit orphelin. Il ne se doute pas qu’il introduit le trouble et le désordre dans sa maison ; la pauvre tante Ruey ne tarde pas à l’apprendre à ses dépens, un jour qu’elle garde la maison pendant que les Pennel sont à l’office.


« Demeurée seule pour garder la maison, miss Ruey poussa un long soupir, accompagné de la prise de tabac consolatrice, chanta le cantique de Bridgewaler en donnant ses notes les plus aiguës, puis se mit à lire dans les Prophètes. Toute son attention était absorbée par les maisons d’Israël et de Juda et par la fille de Sion, lorsqu’elle fut rappelée aux choses de la terre par des cris perçans qui partaient de la grange, et par le caquet et le bruissement des poules qui cherchaient à s’enfuir. L’excellente femme ne fit qu’un saut hors de la maison, et en ouvrant la porte de la grange elle aperçut le petit garçon-perché au plus haut du foin ; il poussait des cris de douleur et de rage, et le désespoir se peignait sur son visage, tandis que les pleurs de la pauvre petite Mara n’arrivaient qu’à demi étouffés et partaient de plus bas, mais on ne savait d’où. Inspection faite, il se trouva que Mara avait glissé dans un trou où une poule s’était installée pour couver, et les cris poussés par celle-ci à l’invasion de ses pénates n’avaient pas peu ajouté à la confusion générale.

« La petite princesse, que nous avons vue si soigneuse et si proprette, si alarmée de la moindre atteinte à la coquetterie de sa toilette, fut relevée toute ruisselante de pleurs et toute couverte d’œufs, mais sans autre mal : elle, était tombée sur l’épais lit de foin que madame la poule avait choisi pour y déposer l’espoir de sa famille.

« — Non, je n’ai jamais rien vu de pareil, se dit miss Ruey quand elle se fut assurée qu’il n’y avait point de membre cassé ; ce petit garçon est un vrai garnement. Franchement je plains mistress Pennel ; elle ne sait pas quelle charge elle a prise. Comment le scélérat est-il parvenu à faire monter Mara jusqu’au haut du foin ? C’est en vérité ce que je ne puis dire. La pauvre petite n’a jamais fait de tours pareils.

« Loin de laisser voir le moindre remords, le jeune coupable prit un air de défi et de colère quand miss Ruey, après avoir remis en ordre la toilette de Mara, voulut, suivant la bonne vieille tradition, le mettre en prison dans le caveau. Il se débattit et lutta si vigoureusement que le tour rouge carotte de la tante Ruey vola en l’air au milieu du combat, et que sa coiffure, toujours originale, prit un aspect qui touchait au surnaturel.