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UNE
FAMILLE AMERICAINE

The Pearl of Orr’s island, a story of the coast of Maine, by mistress Harriet Beecher-Stowe ; Boston et Londres, 1861.

Je ne voudrais médire ni de la politique ni de la controverse : ce sont deux nobles sujets d’étude pour l’esprit humain, et toutes deux ont produit de beaux livres ; mais, si Platon a banni les poètes de sa république en les couronnant de fleurs, je crois que la poésie, — et sous ce mot je comprendrai tout ce qui est œuvre d’imagination, — a bien le droit d’user de représailles. Un grand écrivain, qui, malheureusement pour sa gloire, n’a pas toujours joint l’exemple au précepte, Voltaire, a dit, dans cette langue allégorique familière au XVIIIe siècle :

Les Muses, filles du ciel,
Sont des sœurs sans jalousie :
Elles vivent d’ambroisie,
Et non d’absinthe et de fiel.


Bannissons donc du domaine de l’art, du roman aussi bien que de la tragédie ou du drame, l’absinthe et le fiel, c’est-à-dire l’amertume et l’âpreté des luttes contemporaines, les violences et les injustices de l’esprit de parti ; ne laissons arriver aucun écho des passions du jour dans les régions sereines où l’écrivain doit chercher l’inspiration. Un auteur ne saurait déroger à cette loi sans compromettre le mérite de son œuvre et l’avenir de son nom. Si les chefs-d’œuvre de l’art ont ce privilège de conserver à travers les âges et sous tous les cieux une éternelle jeunesse, c’est à la condition que rien de périssable ne leur aura communiqué sa fragilité. Un seul fil