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d’en haut sur un camp si mal placé, le força et mit les Romains en déroute. La trahison était punie, les Fabius étaient vengés.

Ce fut à Rome un grand effroi : chacun prit les armes. On montait sur les toits pour défendre les rues où l’on croyait que l’ennemi allait pénétrer. Les toits étaient plats, comme la plupart le sont encore aujourd’hui, formant au-dessus des maisons une terrasse qu’on appelle lastrico. C’est ce qui explique comment il est dit si souvent que la multitude couvrait les toits, au retour de Cicéron par exemple. Selon Denys d’Halicarnasse, les fenêtres furent illuminées, car dans l’ancienne Rome on parle souvent d’illuminations, mais jamais d’éclairage public, et dans les quartiers reculés de la Rome actuelle, on n’est pas aujourd’hui beaucoup plus avancé. Heureusement les Étrusques s’amusèrent à piller, et ils ne parurent que le lendemain sur les hauteurs du Janicule, d’où, dit Denys d’Halicarnasse, on voit la ville à découvert. C’est en effet le lieu d’où l’on en saisit le mieux l’ensemble. Ceux qui sont allés à Rome n’oublieront jamais le panorama de Rome aperçu du Janicule, de la fontaine Pauline et de San-Pietro in Montorio.

Il paraît que les Véiens avaient passé le fleuve, et qu’une partie de leurs troupes attaqua Rome du côté du nord et de l’est, car les Romains firent une sortie près du temple de l’Espérance[1] (c’était de bon augure), à un mille de la porte Esquiline (en dehors de la porte Majeure), et une autre près de la porte Colline (vers la porte Pie). Les Véiens étaient toujours sur le Janicule. S’ils avaient eu de l’artillerie, c’est de là qu’ils auraient assiégé Rome, comme les Français en 1850 ; mais, sans artillerie, les Étrusques ne pouvaient rien faire contre la ville que le fleuve défendait. Ils le franchirent cependant, et une nuit vinrent attaquer le consul Servilius dans le Champ de Mars ; mais ils furent repoussés avec un grand carnage, et se réfugièrent sur le Janicule. Le consul passa le Tibre et voulut gravir la pente escarpée du Janicule ; il fut repoussé à son tour, et il était perdu, si son collègue n’était venu le sauver. Ainsi, à la fin du nie siècle de Rome, la ville qui devait étendre si loin ses conquêtes en était encore à défendre ses faubourgs contre l’ennemi.

Tel fut le premier âge de Rome libre, agité, turbulent, mais plein d’énergie et de grandeur. On était plus tranquille au commencement de l’empire ; mais alors on eût cherché vainement des âmes comme celles des libérateurs du Mont-Sacré, de Coriolan, de Spurius Cassius et des Fabius.


J.-J. AMPERE.

  1. Den. d’Hal., IX, 24. Ce temple s’appelait le temple de la Vieille Espérance, pour le distinguer de celui de la porte Carmentale, qui était moins ancien. Il se trouvait au point de jonction de plusieurs aqueducs, à huit stades (un mille) de Rome. On peut donc en déterminer l’emplacement avec une grande précision.