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manière que dans les deux cas on passait par le janus que l’on avait à sa droite. Quand on avait franchi la porte Carmentale, deux chemins se présentaient : l’un à gauche, allant vers le Tibre à travers le Champ de Mars ; l’autre à droite, qui rejoignait plus loin le fleuve, là où on le traversait en bateau pour se rendre à Véies. Ce dernier chemin fut la route des Fabius. Depuis leur défaite et leur mort, il demeura néfaste, et même au temps d’Ovide les gens superstitieux (il y en eut toujours à Rome) évitaient d’y passer. Il en était de même du janus carmental de droite, qu’on appelait porte scélérate, ce qui voulait dire porte de malheur.

Les Fabius passèrent le Tibre, puis longèrent la rive droite du fleuve, et, remontant son cours, allèrent se poster sur une colline dominant la vallée de la Cremera, aujourd’hui la Valca, petite rivière qui se jette dans le Tibre. C’est une eau noire qui coule au fond d’un étroit ravin dont elle ronge les bords, sous des masses touffues d’une verdure sombre. Là les Fabius s’établirent dans une position forte, et à la tête de leurs cliens, j’ai presque dit de leurs vassaux, se mirent à guerroyer contre les Véiens. Sur un sommet élevé et abrupt comme ceux où alors on plaçait les villes, ils établirent un fort assez pareil aux châteaux fortifiés qu’on élevait au moyen âge dans une situation semblable, et dont on aperçoit encore les débris ça et là dans la campagne romaine. Cet établissement des Fabius près de la Cremera était-il un établissement définitif dans lequel, dégoûtés de Rome, où leur position politique était devenue difficile, ils voulaient fonder une sorte de colonie militaire, une cité sabine et aristocratique, comme les plébéiens avaient voulu fonder sur le Mont-Sacré une ville latine et plébéienne ? J’incline à le croire avec Niebuhr. Pour cela, il faudrait qu’ils eussent emmené leurs femmes et leurs enfans. Les auteurs se taisent sur ce point. Cependant, comme on disait qu’un enfant laissé à Rome échappa seul à la destruction de sa race, on peut supposer que les Fabius avaient pris avec eux les autres enfans, et, s’il en était ainsi, probablement leurs femmes[1]. Quoi qu’il en soit, les Fabius, établis dans leur fort de la Cremera, firent aux Véiens une guerre acharnée qui dura trois ans.

Pendant ce temps, une armée romaine, conduite par un consul qui n’était pas de la famille des Fabius, — pour la première fois depuis sept ans ni l’un ni l’autre des deux consuls n’appartenait à cette famille, — vint attaquer les Étrusques et les battit aux

  1. La supposition que les Fabius avaient emmené leurs enfans à la Cremera permettrait d’admettre qu’un seul enfant laissé à Rome aurait conservé leur race ; seulement, si c’était un enfant, il est difficile de concevoir comment dix ans après il était consul. Le Fabius resté à Rome devait être un homme fait ; peut-être l’avait-on laissé sur le Quirinal pour célébrer le culte domestique de la gens Fabia.