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tant que le ciel et la terre resteraient à leur place. On le considérait comme si important, que la table d’airain sur laquelle il était gravé fut placée derrière la tribune. Spurius Cassius fit un pas de plus dans la même voie, et conclut avec les Herniques un traité qui détachait ce peuple montagnard et belliqueux des autres peuples sabelliques. Après ce succès d’une haute importance, il n’obtint qu’avec peine le triomphe. On lui disputait cet honneur sous prétexte qu’il n’avait livré aucune bataille, pris aucune ville, et fait des conditions trop favorables aux Latins et aux Herniques. C’était une injustice. Ces deux traités valaient vingt combats qu’ils épargnaient aux Romains, et les droits accordés aux Latins et aux Herniques étaient une sage concession, grâce à laquelle Rome trouva, pendant les guerres qui suivirent, des alliés sans lesquels, n’ayant d’appui ni dans la plaine, ni dans la montagne, elle aurait probablement succombé.

Soit irritation contre le sénat, qui lui avait marchandé les honneurs du triomphe, soit plutôt sagesse d’un esprit supérieur qui savait et avait déjà montré ce que parfois on gagne à accorder, Spurius Cassius, dans son troisième consulat, prit l’initiative de mesures populaires que les patriciens ne lui pardonnèrent jamais. Il voulait partager entre les Latins et les plébéiens, ces Latins de Rome, le territoire cédé par les Herniques. De plus, le premier, il revendiquait, pour être distribuée aux citoyens, une partie des terres publiques, dont les patriciens avaient seulement la possession et dont ils voulaient faire leur propriété. C’était la première loi agraire, fondée, aussi bien que toutes celles qui suivirent, non, comme on l’a cru quelquefois, sur un principe de spoliation, mais sur le droit de l’état à disposer des terres conquises, droit que l’usurpation des patriciens violait manifestement. Les patriciens craignirent pour leur usurpation et se hâtèrent de déclarer que Spurius Cassius aspirait à se faire roi. Il semble que les plébéiens auraient dû le soutenir ; mais il demandait aussi qu’on accordât des terres aux alliés latins. Un esprit étroit de jalousie prévalut chez la plebs inintelligente et la détacha de Cassius. Voulant la gagner à tout prix, il demanda qu’on rendît à ceux auxquels le sénat avait vendu les blés venus du dehors ce qu’ils avaient payé. Les tribuns se tournèrent contre lui, ne voulant pas qu’un patricien leur ravît le privilège de la popularité. Les plébéiens, dupes de la peur qu’on leur faisait de ce nom de roi, crurent que Cassius voulait leur acheter à ce prix leur liberté, et rejetèrent cette proposition, dont les patriciens devaient le punir.

Le Forum fut cette fois témoin d’une triste scène. Spurius Cassius, ses collègues, qui étaient ses ennemis, le consul Virginius, avaient tour à tour occupé la tribune ; la plebs flottait encore incertaine.